Homélie du 10 septembre 2023

 S'il t'écoute, tu as gagné ton frère 

23ème dimanche du Temps Ordinaire - Année A

Une homélie de fr. Yves de patoul

Homélie :
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S'il fallait trouver un thème commun à toutes ces lectures, nous dirions qu'il est question de correction fraternelle, un terme qui a une résonnance monastique. Saint Benoît y consacre plusieurs chapitres dans sa Règle. Dans une communauté fraternelle, qu'elle soit monastique, familiale ou ecclésiale, il est fort recommandé que celui qui a fauté, qui a contrevenu à un des commandements de la loi naturelle ou tout simplement à la charité pour autant que la vie commune en soit troublée, soit corrigé de façon efficace, charitable et discrète et de façon à ce que la vie commune puisse se poursuivre sans trouble. La raison en est qu'il faut «  ôter le mal parmi vous  » comme le recommande saint Paul (1 Co 5,13) et que «  une brebis malade peut contaminer tout le troupeau  » (RB 28).

Convenons tous que ce n'est jamais facile de punir quelqu'un, de redresser les torts des autres. L'évangile lui-même met en garde ceux qui veulent ôter la paille dans l'œil de leur voisin alors qu'eux-mêmes ne voient pas la poutre qui est dans la leur. Il préconise même le non-jugement et répète à l'envi que Dieu est le seul vrai juge : laissez pousser l'ivraie en même temps que le bon grain : Dieu se chargera de faire le tri à la fin des temps. Oui, mais il y a des limites dans les infractions. Il vaut mieux intervenir dans certains cas : quand la vie communautaire est mise en danger, quand la loi de l'amour est trop bafouée. Pour ce faire, il faut une procédure assez stricte. L'Evangile et la Règle de saint Benoit détaillent bien cette procédure.

J'ignore si ces directives ecclésiales que nous lisons dans les évangiles à ce sujet (la correction fraternelle en l'occurrence) remontent à Jésus lui-même ou si elles ont été élaborées par les communautés primitives comme nous le laisse entendre le corpus paulinien. Nous devons à saint Paul un grand nombre de règles de conduite morale et ecclésiale qui sont toutes inspirées de l'enseignement de Jésus (antérieur aux évangiles puisque les lettres pauliniennes datent d'avant les évangiles). Saint Paul ne cite jamais les évangiles ! mais il connaît bien la pensée de Jésus qu'il a pu partager avec saint Luc. Un bel exemple de ceci, c'est la liberté de conscience : on peut et doit parfois enfreindre une loi pour ne pas offusquer une personne qui n'est pas encore libérée d'une contrainte, alimentaire p. ex. : la charité est plus importante que le respect strict de la loi. Si moi chrétien je suis en milieu musulman, je ne vais pas demander ce que leur religion interdit.

Par contre, il paraît assez probable que Jésus lui-même se soit prononcé sur l'autorité de l'Eglise symbolisée dans les évangiles par la personne de l'apôtre Pierre, puisque comme nous le savons tous : l'Église n'existait pas du temps de Jésus. Mais au moment de la rédaction des évangiles une ébauche d'Église existait déjà. Saint Paul nous en parle dans certaines de ses épitres qu'on nomme pour ce motif «  pastorales  » (à Tite, à Timothée). Donc, tout ce que l'Eglise a décidé a force de loi : «  Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans les cieux, et inversement tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans les cieux  ». Ce principe ecclésial, canonique, est élargi en quelque sorte par cette parole que nous connaissons tous et que nous répétons à volonté  : «  Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux  ». Lorsque nous mettons toutes ces affirmations ensemble, il ressort au moins cette certitude, cette conviction : 'seul on ne fait pas l'Eglise', il faut toujours être deux au moins. Sinon on tombe dans l'arbitraire, dans le subjectivisme, voire dans le despotisme.

Mais il ne suffit pas encore d'être deux ou trois pour s'accorder avec l'Evangile et donc avec notre Seigneur Jésus le Christ, il faut procéder aussi, quand il s'agit de correction fraternelle, avec charité et discrétion . Le manque de discrétion ou de respect est un manque de charité. On n'accuse pas quelqu'un d'une prétendue faute devant une assemblée, fût-elle réduite. Non, dit l'évangile, «  va trouver ton frère qui a commis un péché et parle-lui seul à seul et montre-lui sa faute  ». La procédure est claire. Pas d'expédient, pas de déclaration hâtive : j'essaye d'abord de ma propre initiative. Si ça ne marche pas, si je ne peux convaincre fautif de son péché, je recommence avec deux ou trois frères qui me serviront de témoins à charge. Si le fautif persiste, il sera confronté à une assemblée plus large, ecclèsia. Et en désespoir de cause il sera excommunié, retranché de la communauté des fidèles.

Saint Benoit, dans sa Règle des moines, a plusieurs chapitres, cinq (chap. 23 à 28), pour traiter des fautes petites ou graves et de l'excommunication. Je ne vais pas entrer dans le détail parce que ces prescriptions ne sont plus observées aujourd'hui du moins à la lettre. Mais il demeure que les procédures de correction fraternelle prévues par la Règle des moines sont complexes d'autant plus que les fautes sont graves. Elles s'inspirent bien évidemment des Ecritures mais aussi du droit romain. Elle dit entre autres choses que le châtiment doit être proportionnel à la gravité de la faute et il ajoute que la gravité des fautes dépend du jugement de l'abbé, ce qui établit, me semble-t-il une limite à l'arbitraire d'un jugement collectif ou supposé tel. Pour bien évaluer l'importance de cette procédure, il est peut-être intéressant de la confronter aux pratiques en dehors de l'Église. Si quelqu'un est reconnu fautif, il a droit à une défense (du moins dans un pays démocratique), mais la tentation est grande d'user de procédés expéditifs comme le licenciement. Notre Église, il faut bien le dire, n'a pas brillé ces dernières années pour cette question de punir des délits dans ses propres rangs. Elle a perdu énormément de crédit pour ces crimes qu'elle a préféré ignorer ou voiler par fausse pudeur. Elle a péché par excès de discrétion.

Essayons de conclure par une note plus positive : l'évangile ne doit jamais nous décourager, que du contraire ! même s'il nous dirige parfois et même souvent vers des chemins étroits. Ce qui doit nous rassurer c'est la présence de Jésus Christ lorsque nous sommes plusieurs à réfléchir, à discerner, à prier. Toute question importante requiert la présence de plusieurs têtes, de plusieurs âmes pour se réclamer de notre Seigneur. Deux personnes qui sont souvent d'accord l'une avec l'autre ne suffisent pas pour se réclamer d'une inspiration divine. C'est ensemble que nous sommes sauvés : plusieurs lectures entendues hier nous l'ont répété. Il n'en demeure pas moins qu'une démarche personnelle est fort recommandée. C'est le sens de la première lecture : «  si tu avertis le méchant d'abandonner sa conduite, et qu'il ne s'en détourne pas, lui mourra, mais toi, tu auras sauvé ta vie  » (Éz 33,9).

Saint Paul nous mettra tous d'accord en affirmant que «  l'amour (agapè) ne fait rien de mal au prochain  ». Tous ceux qui se réunissent au nom du Seigneur doivent bien le savoir et toute question examinée ensemble trouvera alors son dénouement heureux.

 

Si tu n'avertis pas le méchant, c'est à toi que je demanderai compte de son sang

La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d'homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d'Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant : ?Tu vas mourir', et que tu ne l'avertisses pas, si tu ne lui dis pas d'abandonner sa conduite mauvaise, lui, le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d'abandonner sa conduite, et qu'il ne s'en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. »

- Parole du Seigneur.

Ez 33, 7-9

Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre salut ! Allons jusqu'à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu'il conduit.

Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? « Ne fermez pas votre c?ur comme au désert, où vos pères m'ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

Celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi

Frères, n'ayez de dette envers personne, sauf celle de l'amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour ne fait rien de mal au prochain.

Donc, le plein accomplissement de la Loi, c'est l'amour.

- Parole du Seigneur.

Rm 13, 8-10

S'il t'écoute, tu as gagné ton frère

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. S'il ne t'écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l'affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S'il refuse de les écouter, dis-le à l'assemblée de l'Église ; s'il refuse encore d'écouter l'Église, considère-le comme un païen et un publicain. Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.

Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d'entre vous sur la terre se mettent d'accord pour demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Père qui est aux cieux. En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mt 18, 15-20