Homélie du 28 janvier 2024

Il enseignait en homme qui a autorité

4ème dimanche du Temps Ordinaire (semaine IV du Psautier) - Année B

Une homélie de fr. Yves de patoul

Homélie :
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L'évangile de Saint Marc que nous suivrons toute cette année est assez remarquable pour la qualité de ses récits : chacun d'eux raconte avec concision des tranches de vie de notre Seigneur Jésus, avec toujours l'intention de nous faire entrer progressivement dans le mystère du Dieu qui veut sauver l'homme. Notre récit d'aujourd'hui nous conduit à Capharnaüm, au nord du lac de Galilée, le village des frères Pierre et André qui viennent d'être appelés. Nous sommes dans une synagogue. Un passage de l'Ecriture vient d'être lu - nous ne savons pas lequel -, et un certain Jésus de Nazareth (une bourgade de laquelle rien de bon ne pouvait sortir disait-on) en fait le commentaire. Marc nous informe que les participants sont impressionnés par la qualité de sa parole : il parle avec autorité et non pas comme les prêtres (ou les scribes, ceux qui interprètent la Loi et les Prophètes) ! Il va nous faire comprendre ce sentiment, cette impression qu'ont les gens concernant l'efficacité de sa parole. Retenons encore au passage que la première intervention de Jésus se fait dans un lieu et un temps de prière.

En plein milieu de la cérémonie, intervient un possédé qui se met à déranger tout le monde par des cris, car tel est le langage des possédés ; et il interpelle Jésus par cette question virulente que je vous traduis avec mes propres mots : «  Jésus de Nazareth, que viens-tu faire chez nous ? Veux-tu notre perdition, nous qui sommes bien tranquilles ici ? Viendrais-tu nous déranger ?  ». L'évangéliste Marc ne connaît pas le discours inaugural de Jésus à Nazareth qui se termine par son expulsion hors de la ville. Mais ce premier épisode de la vie de Jésus à Capharnaüm lui est fort semblable : la foule admiratrice puis haineuse de Nazareth (dans l'évangile de Luc) est remplacée ici par un homme possédé, un esprit mauvais. C'est que la parole de Jésus dérange, elle heurte les sensibilités religieuses fort assurées, rebelles à toute nouveauté, les sensibilités qui se confortent irrémédiablement dans le discours que tous nos pères et nos ancêtres ont toujours entendus, un discours qu'on qualifierait de fermé (il faudrait relire les pages du philosophe H. Bergson qui opposait une morale close et une morale ouverte). Ensuite le possédé l'apostrophe en lui disant : «  Je sais qui tu es : le Saint de Dieu  ». Nous reviendrons sur cette étrange confession.

Que fait Jésus ? Il lui impose d'abord le silence. Inversement, la défense de l'esprit mauvais consiste à faire du tapage, à essayer de brouiller les esprits par de longs discours ou de vaines paroles. La sagesse, la véritable libération passe par le silence intérieur, le recueillement. Puis, il ordonne à l'esprit mauvais de sortir. Ce dernier le secoue fort et pousse un grand cri en sortant de cet homme. L'évangéliste a voulu montrer que la parole de Jésus est efficace ; elle est performative comme disent les linguistes au sujet de certaines paroles ou de certains langages qui opèrent ce qu'ils disent. Le langage liturgique, celui des sacrements, de la messe en particulier, est un langage performatif. Du moins en théorie : il convient en effet de le prononcer avec respect et conviction et de le recevoir dans la conviction qu'il est performant, c'est-à-dire dans la foi. J'ai été fort interpellé il y a quelques jours par un philosophe français incroyant qui avait séjourné trois jours dans une abbaye et qui disait ceci parmi d'autres choses : là-bas le prêtre parle de façon convaincante, et ce n'est pas le cas de tous les prêtres qui donnent parfois l'impression de vouloir vite réciter pour en finir le plus rapidement possible avec leur office. Ces propos venaient d'un incroyant ! Nous les prêtres nous avons le privilège de dire des paroles sacrées qui ont un pouvoir de performance, des paroles qui font ce qu'elles disent. « Je te baptise, je te pardonne tous tes péchés  », «  Ceci est mon corps, mangez-en tous  », toutes les bénédictions prononcées font aussi partie de ces langages «  performatifs  » : ils opèrent ce qu'ils disent. Faisons-le donc avec respect et dignité pour que leur performativité ressorte davantage. Même les incroyants sont sensibles à la manière dont nous prononçons les paroles sacrées ! Je referme cette petite parenthèse.

Revenons sur l'affirmation étonnante du démon : «  Je sais qui tu es : le saint de Dieu  ». Cette affirmation, exacte, est en réalité un aveu de faiblesse : le démon, ou l'esprit mauvais qui est en nous caché quelque part, a peur de la divinité de Dieu capable de chasser le mal en nous ! Il voudrait le neutraliser par son langage direct, brutal un peu comme des époux qui commencent à se chamailler : chacun invective l'autre en lui lâchant ses quatre vérités. Dans ces cas-là d'ailleurs le silence est un des meilleurs remèdes. Ce que j'essaie de vous dire est important parce qu'il touche l'incroyance tapie en notre être : nous avons peur de Dieu qui peut nous rendre libres de nos péchés. Nous préférons rester païens ; nous choisissons délibérément de rester dans la souffrance que le mal nous inflige, plutôt que de nous convertir au Dieu bon et miséricordieux qui nous inspire parfois (et peut-être souvent) de la gêne. Inconsciemment nous lui disons : laisse-moi tranquille avec tes exigences d'amour, je préfère mon petit confort même s'il est vicieux, même s'il me cause du tort. « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne voudrais pas  » dit saint Paul aux Romains (Rm 7,19).

C'est ainsi qu'il faut comprendre l'autorité de Jésus qui impressionnait tant ses contemporains. Cette autorité, il faut la concevoir comme la capacité pour Jésus de sortir les hommes de toutes leurs ornières. C'est «  la puissance de Dieu  » qui revient souvent dans la liturgie avec autant de bonheur que de malheur ai-je envie de dire pour des raisons sémiologiques (de bonne compréhension : la toute-puissance de Dieu n'est pas celle d'un magicien qui fait des choses extraordinaires). Cette puissance de Dieu est la plus grande crainte des esprits mauvais. Nazareth et Capharnaüm en sont de belles illustrations : ils ont eu peur d'un grand prophète qui viendrait tout chambouler, qui viendrait bousculer leurs croyances. Les uns l'ont chassé, les autres l'ont menacé par l'intermédiaire d'un possédé. 

Frère et sœurs, si les perspectives de conversion, d'amélioration personnelle nous paraissent étroites, ne nous décourageons pas : la conversion vers laquelle nous invitent tous les évangiles, celle que Dieu recherche par tous les moyens pour chacun de nous, cette conversion est un lent processus. Soyons déterminés à accueillir la personne de Jésus dans notre vie, faisons-lui plus de place, écoutons-le car il a des choses à nous dire. Ne nous rebiffons pas comme les Nazaréens sceptiques et haineux qui disaient : «  que peut-il bien sortir de Nazareth ? ou comme ce possédé provocateur qui connaissait bien l'autorité de Jésus qu'il craignait par-dessus tout : «  Tu es le Saint de Dieu ! Reste loin de moi !  »

Pour conclure, je vous pose cette question : quelle autorité est la vôtre pour maîtriser le diable qui est en vous, ou celui que vous voyez dans votre prochain, ou plutôt que vous pensez voir en lui ? Quelle méthode allez-vous utiliser pour le dominer ? Les cris ou le silence ? La foi en Jésus Christ ou votre propre savoir-faire ? Encore vous faudra-t-il admettre qu'il y a un diable en vous qui vous conduit où votre conscience vous dit de ne pas aller. L'homme moderne a des difficultés de ce côté-là. Il croit trop facilement qu'il est tout-puissant, qu'il n'a pas besoin des secours de la grâce de Dieu. Nous les croyants, nous sommes sûrs que Jésus Christ a la force et la puissance de nous sauver. Amen

 

Je ferai se lever un prophète ; je mettrai dans sa bouche mes paroles

Moïse disait au peuple : « Au milieu de vous, parmi vos frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l'écouterez. C'est bien ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu, au mont Horeb, le jour de l'assemblée, quand vous disiez : ?Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu, je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir !? Et le Seigneur me dit alors : ?Ils ont bien fait de dire cela. Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. Si quelqu'un n'écoute pas les paroles que ce prophète prononcera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte.

Mais un prophète qui aurait la présomption de dire en mon nom une parole que je ne lui aurais pas prescrite, ou qui parlerait au nom d'autres dieux, ce prophète-là mourra.? »

- Parole du Seigneur.

Dt 18, 15-20

Venez, crions de joie pour le Seigneur, acclamons notre Rocher, notre salut ! Allons jusqu'à lui en rendant grâce, par nos hymnes de fête acclamons-le ! Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu'il conduit le troupeau guidé par sa main. Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? « Ne fermez pas votre c?ur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, où vos pères m'ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

94 (95), 1-2, 6-7abc, 7d-9

La femme qui reste vierge a le souci des affaires du Seigneur, afin d'être sanctifiée

Frères, j'aimerais vous voir libres de tout souci. Celui qui n'est pas marié a le souci des affaires du Seigneur, il cherche comment plaire au Seigneur. Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde, il cherche comment plaire à sa femme, et il se trouve divisé. La femme sans mari, ou celle qui reste vierge, a le souci des affaires du Seigneur, afin d'être sanctifiée dans son corps et son esprit. Celle qui est mariée a le souci des affaires de ce monde, elle cherche comment plaire à son mari. C'est dans votre intérêt que je dis cela ; ce n'est pas pour vous tendre un piège, mais pour vous proposer ce qui est bien, afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.

- Parole du Seigneur.

1 Co 7, 32-35

Il enseignait en homme qui a autorité

Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » Jésus l'interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme. » L'esprit impur le fit entrer en convulsions, puis, poussant un grand cri, sortit de lui. Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : « Qu'est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. » Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée.

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mc 1, 21-28