DIMANCHE IN ALBIS 2021
Jn 20, 19–31
2è semaine du Temps Pascal, année B
Aujourd’hui nous concluons la grande journée de Pâques, ‘ce jour que fit le Seigneur, jour de fête et de joie’, et qui dure sept et même huit jours. Mais les lectures sont déjà tournées vers l’avenir, pour nous inviter à vivre le mystère pascal pendant tout ce temps pascal. Elles nous montrent comment ‘vivre en ressuscités’ avec le Christ. C’est surtout cet évangile, le chapitre 20 et dernier de l’évangile de Jean, qui nous révèle comment nous disposer à recevoir l’Esprit de Jésus. Parce que nous sommes désormais engagés dans une autre étape, de cinquante jours cette fois, pour aboutir à la Pentecôte qui nous initiera à vivre la présence du Seigneur Jésus dans notre vie quotidienne.
Mais voyons comment, au cours de ce chapitre final, Jésus se présente à ses disciples. Il survient au milieu des apôtres désemparés et apeurés, et il leur dit : « La paix soit avec vous ! Après ces paroles, il leur montra ses mains et son côté ». La paix que Jésus nous donne, par trois fois dans cet évangile, n’est, en effet, pas la sérénité de celui qui échappe à toute contradiction et toute malchance. La paix qu’il nous donne vient de ses blessures, comme le prévoyait déjà le prophète : « Par ses blessures, nous sommes guéris ». Il a connu cette paix très particulière quand il a tout donné, tout accompli, sur la croix, et a remis l’esprit. Il avait tout assumé, c’est pourquoi, ressuscité, il garde les marques, les stigmates de la Passion ; elles caractérisent tout son message. D’ailleurs c’est à la fraction du pain que les disciples l’ont reconnu, à la façon dont il se donnait en partage, comme un pain brisé, offert à tous. Et c’est ainsi que nous faisons régulièrement mémoire de lui.
Nous devrions souvent méditer sur ces plaies, ces blessures du Christ glorieux, pour ne pas nous méprendre sur ce qu’est la paix et la joie de l’évangile. Aussi, pour être, à notre tour, des artisans de paix, il nous faut commencer par assumer nos souffrances, nos blessures, celles que nous avons fait et celles qu’on nous a faites. La paix véritable est au-delà de tout oubli et de toute anesthésie. Elle est même souvent au bout d’un passage à travers beaucoup de contradictions, car elle suppose déjà une réconciliation, un pardon, comme Jésus le demande à ses disciples, ̶ comme il a lui-même commencé par pardonner à ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34) Oui, ces deux démarches pascales vont ensemble : pas de paix véritable sans un accueil et une réconciliation, d’abord avec nous-mêmes, et puis avec tous. Mais cela dépasse souvent nos forces et nous ne devons alors pas hésiter à appeler sur nous l’Esprit de Jésus ressuscité.
Venons-en maintenant au dernier message que le Christ nous a laissé : son invitation à la paix dans la foi, une foi véritable. C’est déjà ce qu’il disait dans son discours d’adieu : « Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ! » L’intervention de Thomas que l’évangéliste rapporte dans ce dernier chapitre permet de préciser ce qu’est la foi que Jésus nous demande. Et le fait que, dans cet épisode, ’il s’y agit également des plaies nous rappelle que la foi ne peut pas se vivre en dehors de notre monde de souffrance. Mais cette anecdote nous dit surtout que la foi n’est pas une crédulité. En ce sens l’apôtre Thomas est le patron de tous ceux qui ne veulent pas en rester à une foi de charbonnier. Il est vrai que, dans les Écritures, la foi est souvent liée, et même dépendante d’une expérience de miracle. On lit souvent dans les évangile : « en voyant comment l’homme avait été guéri, beaucoup crurent en lui ». Mais cette foi doit encore pouvoir grandir, parce que la vraie foi est plus exigeante. Elle n’évacue pas les exigences et les questions de science, de l’histoire ou de la psychologie, comme on pouvait le faire au Moyen-Âge. Car aujourd’hui il est nécessaire d’accueillir honnêtement tous les questionnements. Jadis, comme notre savoir était limité en tant de domaines, il fallait beaucoup de foi, mais c’était une croyance que j’appellerais supplétive ou palliative. Actuellement, nos connaissances sont beaucoup plus complètes et fiables, et nous faisons bien d’exiger beaucoup de rigueur dans nos connaissances, en tous les domaines. Nous nous reconnaissons donc volontiers en saint Thomas qui ne veut pas croire trop vite à tout ce qu’on nous raconte. Or l’histoire nous dit aussi qu’il a finalement cru, sans mettre la main dans le côté de Jésus. Il y a en nous Thomas l’incrédule, mais aussi le Thomas qui se convertit à la foi et adore son Seigneur et son Dieu. La pratique de la foi religieuse exige que nous respections ces deux approches. Ce n’est pas parce que nous ne voulons plus être crédules que toute foi aux mystères est impossible ; mais, en retour, la conversion à la foi dans une confiance éperdue en Dieu ne fait pas pour autant de nous bigots.
Aujourd’hui donc, plus que jamais, notre foi doit être portée par la prière, la méditation et l’adoration. Il ne faut pas attendre d’avoir vu et compris combien Dieu est grand, pour l’adorer ; il faut, au contraire, commencer par adorer pour croire. Il faut pouvoir dire devant Jésus : « Mon Seigneur et mon Dieu ! », alors il nous est aussi possible de croire du fond du cœur. Car il ne s’agit pas tellement d’adhérer à des vérités, mais de nous attacher à une personne, le Christ, notre ‘Bien-aimé frère et Seigneur Jésus’, comme Charles de Foucauld aimait l’appeler. Finalement, nous pouvons dire que, pour nous chrétiens, la foi est simplement la conscience de la présence du Christ, toujours vivant parmi nous, une conscience transmise par des témoins portés par l’Esprit Saint qui, tout au long de l’histoire, nous ont transmis ce feu d’une présence qui transfigure. Et cette présence se réalise concrètement quand, en toute notre vie, nous faisons comme il aurait fait à notre place. Nous le faisons en toute confiance, parce qu’il a dit, comme saint Matthieu nous le rappelle : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».
Les derniers mots de l’évangile de ce jour vont en tout cas nous accompagner tout au long de ce temps pascal : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». La joie de la foi nous y est annoncée, mais aussi l’exigence de notre vie ‘en Christ’. Pour cela nous avons besoin de la force de l’Esprit de Jésus. Le soir de la Résurrection il y avait déjà eu une petite Pentecôte, comme nous l’avons entendu : Jésus disait : « Recevez l’Esprit Saint », mais les disciples restaient encore dans la crainte, toutes portes verrouillées. Nous aussi, durant ces jours, nous attendons patiemment dans la foi et la prière la venue plus plénière de l’Esprit à la Pentecôte, la présence de Jésus parmi nous et en nous. Sans l’avoir vu nous l’aimons et nous exultons de joie quand nous le prions, et surtout quand nous refaisons les gestes qui nous le révèlent. Gestes de paix, de partage et d’action de grâce à Dieu notre Père.
Fr. Pierre