21ème dimanche B (2018)
Choisir Jésus
Jn 6, 60–69
l’Évangile est toujours un appel, un appel à la conversion. Ici, dans l’évangile de ce jour, la question est claire : "Voulez-vous partir, vous aussi ?"
Quant à nous, nous ne voulons pas seulement procéder à une exégèse correcte, pour comprendre et bien situer la conclusion de ce chapitre. Nous voulons « faire descendre notre esprit de la tête dans notre cœur », comme le recommande la tradition orthodoxe de la prière du cœur. Le cœur (au sens vrai du mot) est le foyer de notre vie. C’est là que les pensées lumineuses ou généreuses que notre tête a conçues peuvent être assimilées et porter des fruits. C’est là que se prennent les engagements importants. Je crois donc que nous devons lire ainsi l’évangile, et nous efforcer de bien le comprendre, mais qu’ensuite nous devons encore le faire descendre de la tête à notre cœur, si nous voulons intégrer dans notre vie concrète l’appel de Jésus.
Oui, mes frères et mes sœurs, l’Évangile est toujours un appel, un appel à la conversion. Ici, dans l’évangile de ce jour, la question est claire : « Voulez‐vous partir, vous aussi ? ». Et nous avons vu que les apôtres ont refait leur choix : « A qui irions‐nous ? » En fait de choix, il faut remarquer qu’il s’est plutôt agi d’une réponse au choix de Jésus qui leur dit : « Ne vous‐ai‐je pas choisi, vous les Douze ? » Effectivement, dans l’Évangile, tout se vit dans ce choix réciproque et sans cesse réaffirmé.
Nous voulons, nous aussi, nous situer par rapport à cet épisode de l’évangile. Nous voyons autour de nous que beaucoup s’en sont allés et ont cessé de marcher avec le Christ, du moins extérieurement, parce que nous ne voyons pas les cœurs. Mais nous qui sommes rassemblés dans cette chapelle, nous ne voulons pas en être séparés : il a les paroles de la vie, les paroles qui nous font vivre. Nous ne voulons pas non plus nous laisser effaroucher ni rebuter par les ‘paroles rudes’ qu’il nous adresse parfois. Elles sont souvent difficiles, ‘intolérables’, mais nous préférons lui faire confiance, en attendant que l’Esprit nous y révèle la vie. Nous ne sommes pas des intégristes, mais voulons accueillir tout l’Évangile, en nous laissant convertir toujours davantage à son écoute.
Autre chose, en effet, l’accueil sincère d’une parole d’Évangile, l’admiration et, comme le dit le philosophe André Comte‐Sponville, la reconnaissance de dette à l’égard du message du Christ. Autre chose le choix pour la personne de Jésus, l’engagement vital dans l’obéissance à son appel, bref : la conversion du cœur. Bien sûr, nous nous réjouissons de voir de nombreuses personnes, de toutes appartenance philosophique ou religieuse, qui respectent et admirent aujourd’hui l’Évangile. Ils nous aident à redécouvrir ‘Le Christ Philosphe’, le ‘Jésus Médecin’ ou le ‘Christ cosmique’. Ils nous aident à démythologiser, voire à démystifier les évangiles. Nous leur sommes reconnaissants. Mais, jusqu’où pouvons‐nous aller sur ce chemin ? Selon quels critères allons‐nous relire, réinterpréter ces évangiles ? N’y a‐t‐il pas un réel danger à ainsi retailler un Christ à notre convenance, à le réduire à notre propre idéal ? Quitte à escamoter ce que nous jugeons ‘intolérable’, pour reprendre le mot utilisé par de nombreux disciples dans la synagogue de Capharnaüm.
Non ! un Christ ‘tolérable’ ne nous suffit plus. Le choix des disciples de Jésus, — notre choix, — n’est pas dicté uniquement par l’admiration pour un évangile fascinant et un personnage remarquable, il est un pari, un engagement risqué, qui va parfois à l’encontre du bon sens, mais il est la confiance éperdue en une personne.
Je vais essayer de préciser ce qu’est cette confiance, quand elle est donnée depuis le cœur. J’ai participé hier au mariage d’une petite nièce, à Courtrai. Je n’ai pas beaucoup pu échanger avec les jeunes mariés, mais je suppose que, s’ils ont décidé de se marier à l’église, c’était parce qu’ils voulaient faire un engagement plus résolu, avec l’aide de Dieu. Ils ne voulaient pas se borner à dire : « Je te choisis parce que tu me plais, — autant que dure le plaisir ». ni : « Je t’aime parce que tu me conviens ». Mais : « Je choisis, je décide de désormais t’aimer, parce que c’est toi. Je veux entrer dans ton univers comme il est, comme il sera ». Le ‘oui’ prononcé au mariage exprime cette détermination qui est un retournement de la situation qui doit ensuite être monnayé dans la vie quotidienne.
Dans notre rapport avec le Christ, nous faisons le même retournement. La conversion dans laquelle nous voulons nous engager chaque jour, ne peut pas se borner à choisir le Christ qui nous plait, par exemple le ‘Christ philosophe’, tout en excluant ce qui nous semble intolérable chez lui. Non, nous voulons entrer dans son univers, tel que nous le racontent les évangélistes et qu’une bonne exégèse nous le confirme
Et pour que ce choix soit sincère et effectif, il nous faut prendre le temps pour « laisser descendre dans notre cœur » toutes ces paroles — et aussi toutes nos propres réflexions et interrogations. Si nous voulons rester avec le Christ et laisser sa parole de vie irradier notre propre vie, nous ne pouvons laisser son message dans notre tête uniquement. Là nous l’avons déjà bien compris. Mais il faut qu’il descende aussi dans notre cœur, dans tout notre corps, dans un comportement tout entier converti. Sans une intériorité patiemment développée, notre vie chrétienne risque de rester assez terne et contraignante. En effet seule la prière nous permet de réaliser que le choix de rester avec le Christ n’est pas tant le fruit de notre appréciation ou de notre générosité personnelle, mais qu’il est un don, comme le dit encore le Christ dans cet évangile : « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père ». Le manque de prière profonde (ou simplement le manque de silence) explique pour une part importante que tant de personnes trouvent les paroles de l’Évangile intolérables ou insignifiantes, et qu’elles quittent l’assemblée des fidèles.
Mais au cours de l’Eucharistie nous sommes invités à aller jusqu’au point où se rencontrent les choix, là où se rejoint la volonté du Sauveur et notre désir de vivre le plus profond. Et là, au plus vrai de notre vie, nous pouvons chanter notre action de grâce, notre gratitude à Dieu qui nous a aimé le premier.
Fr. Pierre