16ème dimanche C (2019)
Hôtes et invités
(Luc 10, 38–42)
Les deux textes principaux que nous avons entendus parlent de l’hospitalité.
Une méditation sur l’hospitalité est particulièrement bienvenue aujourd’hui. En effet, les exigences d’une hospitalité élémentaire apparaissent désormais clairement quand nous sommes les témoins indignés de certains cas de non-hospitalité, c’est à dire de non-humanité. Récemment un journal titrait : « L’hospitalité est-elle un délit ? » à propos de ce citoyen français convoqué au tribunal pour avoir hébergé des sans-logis. Vous savez en effet que les mots ‘hospitalité’ et ‘humanité’ sont équivalents, par exemple chez saint Benoît. Comme le dit déjà Homère : « Là où il n’y a pas d’hospitalité, il n’y a pas non plus de civilisation », il n’a pas non plus d’humanité, car alors les humains se comportent plutôt comme les animaux dans la forêt, prédateurs ou proies pour tous ceux qui ne sont pas leurs congénères.
Et Homère continue en rappelant que « là où il n’y a pas d’hospitalité, il n’y a pas davantage de religion. » L’hôte est en effet toujours un messager de Dieu, sinon même Dieu lui-même. Saint Benoît, ici encore, en témoigne quand, en accueillant un hôte, et en lui lavant les pieds, il demande qu’on chante le verset du psaume : « Seigneur, nous accueillons ton amour dans notre maison ! » En recevant un hôte, nous recevons l’amour même de Dieu. Ici donc, plus que jamais il nous faut appeler « l’Esprit qui nous humanise pour nous diviniser », pour reprendre le titre de la conférence de la Sœur Marie- Raphaël…
À la source de l’hospitalité, il y a en effet la Trinité, comme l’iconographie de l’Église d’Orient l’a si bien exprimé, en reprenant l’hospitalité d’Abraham pour signifier la Trinité.
Cette image de l’hospitalité d’Abraham devrait toujours rester devant nos yeux. Elle nous est présentée, comme en exergue, aux toutes premières pages de la Bible. Toute la démarche de l’hospitalité s’y retrouve en quelques lignes : Abraham voit les voyeurs et il les invite, parce qu’il voit en eux le Seigneur ; il les met en confiance, les comble de générosité, mais se tient près d’eux avec humilité. Finalement le Seigneur le bénit et lui promet la naissance d’Isaac.
Mais, mes sœurs, mes frères, l’importance et la beauté de l’hospitalité est évidente. Mais il est nécessaire à présent de voir ensemble comment la vivre concrètement dans nos milieux. Je crois en effet que cette démarche bénie peut et doit se vivre au quotidien. L’étranger n’est pas nécessairement un Irakien ou un Malgache. Il y a en effet d’une part l’accueil de l’étranger qui entre dans notre maison, mais, comme il y a en chacun de nous une part d’étranger, il y a aussi un accueil de l’étranger qui habite dans notre maison. En effet, même ceux qui nous sont les plus proches nous sont aussi, pour une part, inconnus. Il y a chez eux bien des domaines insoupçonnés, mystérieux, étranges, insolite et peut-être même insupportables qui n’apparaissent qu’occasionnellement et nous étonnent alors.
L’hospitalité doit se vivre là aussi. C’est ce que Marthe et Marie devaient apprendre. Jésus appréciait leur hospitalité et il est revenu souvent chez elles, chez eux, parce qu’il y avait aussi leur frère Lazare. Mais il semble bien que les deux sœurs qui accueillaient si bien Jésus avaient difficile à s’accueillir l’une l’autre. Or, pour vraiment bien recevoir un hôte, il faut commencer par lui offrir un gîte paisible et apaisant. Si, au contraire, l’hôte tombe au milieu de discussions et de règlements de compte, son séjour ne sera pas tellement heureux.
Ce passage de l’évangile de Luc est célèbre, et il a été commenté de façons diverses et même contradictoires. Rassurez-vous : je ne vais pas encore ajouter de commentaires à ceux saint Augustin, saint Bernard ou Maître Eckhart. Je veux seulement rappeler que Jésus appréciait évidemment Marthe qui s’occupait du service : il dit de lui-même qu’il est parmi nous comme celui qui sert. Mais il n’aime pas sa façon de se plaindre ; il n’aime ce ton revendicateur, et c’est pourquoi il en rajoute même en lui répondant que « Marie a choisi la meilleure part et elle ne lui sera pas enlevée ». Il ne proclame donc pas la supériorité de la contemplation sur l’action, mais il rappelle que pour bien accueillir un hôte, il faut veiller tant à son confort qu’à son écoute personnelle. C’est bien de préparer pour lui de bons petits plats, mais cela ne devrait pas empêcher d’être attentifs à ce qu’il vit et espère, à ce qu’il dit.
Une maison accueillante est d’abord une maison où l’on s’accueille mutuellement. Parce qu’alors la paix y règne. Vous vous souvenez que, quand Jésus envoie ses disciples, il leur demandait de commencer par souhaiter : « Paix à cette maison ! » Réciproquement, nous espérons trouver cette paix en entrant chez ceux qui nous invitent ; c’est ce que Jésus espérait chez Marthe et Marie. On peut espérer que finalement cela s’est bien passé.
Cet accueil mutuel qui seul permet de bien accueillir nos hôtes éventuels est encore ce que saint Paul demandait aux Romains dans son épître : « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu ». Ce n’est pas si facile, dans une communauté ou dans une famille d’apprécier chacun de ceux avec qui nous vivons, et de les accueillir pleinement, pas seulement malgré certains traits de leur comportement qui nous étonnent ou nous agacent un peu, mais avec tout ce qui les caractérise. Il ne s’agit donc pas seulement de se tolérer mutuellement, mais de s’honorer mutuellement, comme saint Benoît le répète dans sa Règle. Bien sûr, il ne demande pas de tolérer n’importe quoi sous prétexte d’être accueillant, car il précise encore la nécessité de toujours aimer les frères, mais de détester les vices ! Oui, je crois que nous pouvons beaucoup recevoir les uns des autres quand nous parvenons à accepter respectueusement leur personnalité unique, quand nous attendons d’eux tout ce qu’ils peuvent encore réaliser. Il s’agit en fait d’espérer en eux, pour qu’ils puissent devenir toujours davantage eux-mêmes. Cette hospitalité mutuelle est le milieu où nous devenons vraiment humains, et où nous pouvons vivre en communion avec Dieu, car, comme nous l’avons vu, l’hospitalité a sa source en Dieu, dans la Trinité, mais elle a besoin de pousser ses racines dans notre vie quotidienne attentionnée. Alors elle sera vraiment heureuse et féconde.
Et souvenons-nous à présent, en continuant la célébration de l’eucharistie, que nous sommes invités à la table de Dieu. Oui, c’est ici que, peu à peu, nous comprenons que, pour bien nous accueillir et accueillir nos convives, nous devons, comme le Seigneur Jésus, en quelque sorte, nous offrir nous-mêmes.