2ème dimanche de Carême A
La transfiguration
Mt 17 1–9
Le récit de la Transfiguration de notre Seigneur Jésus Christ est bien connu : Jésus emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean. Arrivés au sommet de la montagne haute qui rappelle le mont Sinaï et le mont Carmel, Jésus y est transfiguré, métamorphosé littéralement. Après quoi, Moïse et Élie leur apparaissent et ils causent avec Jésus en aparté. Alors Pierre l’impulsif, qui a été rabroué par Jésus quelques jours avant lorsqu’il s’était offusqué de l’annonce de la passion et de la résurrection de son maître « Passe derrière moi, Satan, lui dit Jésus, tes pensées ne sont pas celles de Dieu », eh bien il fait une nouvelle bourde. Il veut immortaliser, figer, cette rencontre (c’est un peu comme s’il se mettait à faire des photos et des vidéos au lieu de se mettre à prier) : « Faisons trois tentes, dit-il : une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ». Ensuite, vient un moment très solennel : la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le : c’est en lui que j’ai mis tout mon amour » ; les 3 disciples de Jésus sont terrassés, bouleversés par la peur du sacré divin, le tremendum qui fait trembler celui qui s’en approche dirait Rudolph Otto. Et, comme si de rien n’était, Jésus les apaise en leur disant de se relever ; enfin, comme souvent dans les théophanies, tout disparaît en une fois. Jésus disparaît comme à Emmaüs quand les pèlerins l’ont reconnu. Redescendu au pied de la montagne, Jésus les enjoint de ne rien dire à personne de ce qu’ils ont vu : il ne convenait pas qu’ils compromettent sa mission de rédempteur.
Nous ne savons pas de quoi Jésus parlait avec Moïse et Élie, mais tout laisse penser qu’il s’agit de la fin du Fils de Dieu, une fin à la fois tragique et glorieuse, sa mort et sa résurrection. Le contexte théologique et culturel de l’époque est celui d’une attente d’un messie glorieux, puissant libérateur de son peuple opprimé. Même les chrétiens d’origine juive du temps de Matthieu qui sont accoutumés à la Résurrection, ont encore du mal à penser un messie crucifié. Chaque époque, disait Paul Ricœur, a son ‘croyable disponible’. La croyance à un messie qui doit mourir sur une croix n’est pas encore bien établie au temps de Jésus et d’ailleurs pour un long temps encore : des hérésies vont naître pour nier l’humanité du Christ. Et notons qu’elle ne l’est toujours pas pour les juifs et les musulmans pour qui Jésus reste un prophète. Ce récit de la transfiguration a donc pour objectif en quelque sorte d’établir fermement la messianité de Jésus : la voix du Père avec les deux témoins obligatoires pour la loi que sont Moïse et Elie, atteste solennellement que Jésus, celui qui vit au milieu d’eux, qui a déjà prophétisé sa mort violente suivie de sa résurrection, cet homme-là est bien le Messie de Dieu.
Après ces explications historiques et théologiques, essayons maintenant de nous réapproprier cette expérience que ces 3 disciples ont vécue. Pour ce faire, je suivrai quelques indications glanées sur la toile dont les auteurs sont des frères protestants. Ils m’ont bien inspiré et je les en remercie.
En ce XXIe siècle nous sommes nous aussi les disciples de Jésus. Toutes nos expériences spirituelles, aussi insignifiantes soient-elles, passent par ces 3 moments que nous retrouvons dans celle de Pierre, Jacques et Jean : une montée, un moment passé au sommet et une redescente. Pourquoi ne pas nous inspirer d’eux ? « Nous avons tous un mont Thabor à l’intérieur de nous. Un lieu de solitude préservé, un lieu où nous pouvons nous laisser transformer – transfigurer par la lumière divine –, un lieu où nous pouvons accumuler des forces de résistance … dont nous pourrons avoir besoin, si nous sommes un jour sur un lit d’hôpital ou dans une autre situation difficile » (pasteur Michel Cornuz). Chaque eucharistie, chaque temps de retraite ou de récollection, chaque temps de prière est propice à une telle élévation qui peut nous relancer dans la vie tumultueuse qui est la nôtre le plus souvent.
Montons sur la montagne, celle que nous avons choisie pour y rencontrer notre Seigneur Jésus le Christ. Un temps de préparation est nécessaire car il nous faut nous dépouiller de tout ce qui nous encombre, il faut nous débarrasser de tous nos préjugés, de notre ego pour être capable d’écouter celui qui est le Tout-autre. Ne partons avec rien d’autre qu’un cœur léger, vide autant que possible afin d’être en mesure de recevoir une parole, un message qui pourra peut-être remplir notre cœur de joie ou de bonheur, une parole qui pourrait tout changer dans notre vie.
À ceux qui ont choisi de monter jusqu’au sommet de la montagne, lorsqu’ils y sont parvenus, il peut leur arriver d’être ravis par un spectacle unique, d’être éblouis par une lumière éclatante, d’être touchés par la grâce de Dieu qui leur parle dans le silence de l’éternité, ou encore d’être saisis par une révélation sur eux-mêmes ou sur leur chemin à parcourir. L’invisible devient perceptible : vision ? réalité, ou rêve ? peu importe. En Jésus tout devient lumière qui brille comme le soleil et davantage encore. « Écoutons-le ». Arrêtons-nous un instant pour prêter l’oreille de notre cœur selon la belle expression de saint Benoît dans sa Règle. Le secret de la prière n’est-il pas dans l’écoute, l’écoute silencieuse de l’autre ? Peut-être entendrons-nous la voix du Père nous dire en ce moment unique de grâce : « Toi aussi tu es mon fils bien-aimé, – toi aussi tu es ma fille bien-aimée, en qui je mets tout mon amour ».
Comme Pierre, nous voudrions immortaliser cet instant de grâce où nous avons côtoyé la divinité, l’éternité dans l’instant. Mais cet instant est fugitif, il ne saurait durer. La vie spirituelle est faite de hauts et de bas. Il nous faut redescendre dans le quotidien. Redescendons maintenant de la montagne, revenons à notre réalité quotidienne, à l’ordinaire de nos vies, forts d’une expérience qui édifie en nous la certitude de la grâce et fortifie notre espérance en un avenir meilleur. À nous de trouver l’équilibre, le nôtre, entre vie de prière et vie active, entre l’être et le faire. C’est le chemin de notre propre transfiguration, pour que nous reflétions chacun un peu de cet immense Amour reçu gratuitement et offert en partage à tous nos proches. Nous avons tous connu ou rencontré de ces personnes rayonnantes qui nous ont appris plus sur Dieu que tous les discours édifiants et qui nous ont fait progresser sur notre chemin de foi. Soyons de celles-là qui éclairent ses proches non par l’éclat de son intelligence mais bien plus par la lumière de son amour qui provient d’une rencontre lumineuse avec Dieu, son Fils Jésus Christ qui nous a donné son Esprit.
« Le Christ, dit saint Paul à Timothée, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile ». Suivons-le dans la fidélité et dans la joie, que nous soyons dans la peine ou dans l’allégresse.
Frère Yves de Patoul