Homélie sur les Pèlerins d’Emmaüs
3ème Dimanche de Pâques
En ces jours tristes et pénibles, douloureux même pour certains d’entre nous, tous obligés de suspendre toute vie associative et même une grande part de la vie sociale – je pense aux déplacements et aux loisirs, sans parler des messes qui nous rassemblent tous les dimanches en cette chapelle – et tout cela à cause de ce sacré virus qui se transmet d’homme à homme, nous écoutons ce merveilleux récit des deux Pèlerins d’Emmaüs avec d’autant plus d’intérêt que, eux aussi ils ont quitté la ville de Jérusalem où l’on fêtait la Pâque juive dans un état très dépressif, peut-être plus avancé que le nôtre : ils s’en retournent fort désabusés de ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme dans lequel ils avaient mis tous leurs espoirs pour la libération de leur nation Israël. Et bien cet homme, ils l’ont arrêté et ils l’ont mis à mort en le crucifiant. Ils, ce sont leurs autorités religieuses autant que politiques. Tous leurs espoirs se sont effondrés. Nous écouterons ce récit avec d’autant plus d’intérêt, disais-je, que leur peine, leur désolation s’est transformée en une consolation joyeuse. Essayons de comprendre comment a bien pu se passer ce complet renversement. Peut-être pourrions-nous en retenir la recette ? C’est ce que je vous souhaite.
L’évangéliste saint Luc qui est un conteur hors pair nous laisse deviner dès le début de son récit, le ressort de cette histoire somme toute assez ordinaire, il nous met la puce à l’oreille : nos deux compagnons qui broient du noir, qui traînent les pieds sur la route poussiéreuse pour s’en retourner dans leur patelin, ils sont rejoints par un inconnu. Mais cet inconnu n’est pas n’importe qui, c’est Jésus ressuscité qui fait route avec eux. Mais ils ne le reconnaissent pas. Pourquoi ? Parce que, dit l’évangéliste qui connaît bien Jésus, leurs yeux sont aveuglés. Nous pourrions presque nous arrêter à cette étape tellement chacun de ces éléments est rempli de sens. Chacun de nous qui se veut être un disciple de Jésus Christ chemine vaille que vaille sur des sentiers plus ou moins connus vers une destinée assez élevée (en un mot je dirais le salut, c’est-à-dire une certaine perfection évangélique), chacun de nous aime à partager son quotidien avec un compagnon, un époux, des amis, mais il ignore le plus souvent la douce compagnie de Jésus qui seul peut lui révéler le véritable chemin qui mène à la vérité, à la vie plénière. Saint Jean, ne dit-il pas : « Je suis la voie, la vérité et la vie ».
Lorsque nous relisons ce texte, et je vous invite à le faire chez vous, nous observons ceci : les deux compagnons racontent leur version personnelle de l’histoire qui les préoccupe tous, y compris Jésus qui en est le personnage central, en l’occurrence les événements qui se sont passés ces trois derniers jours à Jérusalem. Jésus les écoute, il les laisse parler, il leur laisse dire tout ce qu’ils ont sur le cœur, avant de réagir et de leur donner la bonne leçon des événements qui le regardent lui. Il leur ouvre peu à peu les yeux sur la vérité, il leur donne l’intelligence des événements, il les enseigne donc, en ouvrant le livre des Écritures où état prophétisé tous ces événements. Et ils leur donnent même une clé très importante pour comprendre ces Écritures : « En partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua dans toute l’Écriture, ce qui le concernait », autrement dit Jésus est l’aboutissement de toutes les Ecritures. « Il fallait (donc) que le Messie souffrît tout cela (condamnation, passion et mort) pour entrer dans sa gloire ».
Mais cette étape, la lecture de la Parole de Dieu et son interprétation correcte toute importante qu’elle soit, ne suffit pas pour nous comme pour les pèlerins d’Emmaüs : il faut la communion, le sacrement de l’eucharistie qui complète et achève. C’est seulement la fraction du pain qui révèle Jésus aux pèlerins d’Emmaüs. La communion, le sacrement si l’on veut, fait partie intégrante de la vie chrétienne. Vous qui êtes confinés dans vos maisons vous êtes privés de cette communion. Le confinement que nous vivons malgré nous a quelque chose d’épouvantable, c’est contre nature. Les chrétiens ne peuvent pas s’y faire comme le pourraient certains travailleurs qui font du télétravail à domicile. Malheureusement, les prévisions ne sont pas très optimistes : malgré l’insistance des autorités religieuses belges et françaises pour reprendre les cultes : les messes du dimanche principalement mais aussi les mariages à l’église par exemple, on parle seulement du moins de juin. Et pour rester avec ceux qui nous regardent par ordinateur interposé, nous leur recommandons de lire les textes de la liturgie s’ils ont une Bible ou un missel et puis de communier avec le désir comme disait le pape François. Espérons que nous sortions le plus vite possible de cette épreuve redoutable qui nous réduit à des individualités sans communication directe les uns avec les autres puisque aucun rassemblement n’est autorisé. Voilà pour leur maigre consolation.
Je reviens sur une partie du récit sur laquelle je ne me suis pas attardé : nos deux compagnons ont bien suivi l’actualité de ces derniers jours (vv. 2–4). Ils savent que Jésus est mort et aussi qu’il y a une rumeur qui circule selon laquelle il serait vivant. La résurrection d’entre les morts n’est pas encore attestée. C’est pourquoi ils s’en vont dépités. Il faut la prédication de Jésus pour qu’ils accèdent à la croyance que Jésus est vivant. « Notre cœur était tout brûlant lorsqu’il nous parlait sur la route et qu’il nous expliquait les Écritures » se disaient-ils l’un à l’autre. Il faut des témoins pour attester que Jésus est ressuscité, qu’il est vivant. Les Apôtres prendront le relais de Jésus dans cette attestation, cette confession que peut-être nous négligeons quelque peu dans notre discours chrétien. Nous-mêmes, en effet, disciples du Christ, baptisés dans sa mort et sa résurrection, nous faisons tous partie de cette immense chaîne de ceux qui ont appris que Jésus est mort et ressuscité et qui le répètent à ceux qui sont ignorants ou dubitatifs. Ce n’est une évidence pour personne, il faut donc se le répéter sans cesse et y croire sur parole : la mort a été vaincue, elle n’est plus le dernier mot. Ce n’est pas une invention humaine, C’est Jésus le Fils unique de Dieu qui l’a dit après l’avoir éprouvé dans sa chair mortelle. Après la mort, il y a bien une vie éternelle pour ceux qui croient en Jésus ressuscité.
Croire en Jésus ressuscité implique encore que nous nous convertissions comme ne cessent de le répéter les Apôtres dans leur catéchèse. Cette partie du kérygme, c’est-à-dire la prédication primitive de la foi chrétienne (qu’on lit souvent dans les Actes des Apôtres) est peu présente dans les textes d’aujourd’hui. Mais il est bon de le rappeler. Et comme indice de cette conversion dans notre récit des Pèlerins d‘Emmaüs, nous voyons seulement ceci : leur enthousiasme, leur joie d’avoir reconnu le Christ à la fraction du pain ; cette joie se concrétise par leur départ immédiat pour Jérusalem (un retour donc pour eux qui avait quitté la cité sainte) pour y communiquer leur foi remplie d’espérance, elle qui s’était dégonflée au début.
Fr. Yves de Patoul