Sainte Famille
27 décembre 2020
Introduction
Bienvenue à vous tous, chers frères et sœurs. L’Église, chaque année en ce dimanche entre Noël et le premier jour de l’an, nous invite à méditer la sainte Famille. C’est un jour où normalement on essaie de se retrouver en famille, parents et enfants, parfois sur trois, voire sur quatre générations. Aujourd’hui, par prudence, cela n’est pas possible comme par le passé. Mais on multiplie les messages per téléphone, whatsapp et autre moyens de communication, avec humour, fraîcheur, poésie, bienveillance. Peut-être que même à l’instant, séparés dans l’espace, certains parents et enfants suivent la même émission et recueillent ensemble le même message qu’ils pourront reprendre par la suite au téléphone. Soyons inventifs en deçà des règlements et prenons le temps de recueillir ce que la Parole de Dieu tient à nous dire aujourd’hui. Elle parle notamment du comment continuer à croire dans la Vie et dans le Maître de la Vie, au milieu de toute sorte d’épreuves. Invoquons le Christ, « venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance », comme il l’a dit.
HOMÉLIE
Chères frères et soeurs,
Dans la première lecture, tiré du livre de la Genèse, on entend le Seigneur s’adresser à son ami : « Ne crains pas, Abram ! » « Ton héritier sera quelqu’un de ton sang ». « Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux. Telle sera ta descendance ». Et Abram eut foi dans le Seigneur. Le Seigneur visita Sara comme il l’avait annoncé ; il agit pour elle comme il l’avait dit. Et Abram donna un nom au fils que Sara lui avait enfanté : il l’appela Isaac : « Dieu m’a donné de quoi rire ». L’enfant du rire est né !
L’auteur de l’épître aux Hébreux, dans la seconde lecture, revient sur Abraham et Sara :
Abraham obéit, grâce à la foi… Lui et sa femme Sara eurent foi en Dieu, et grâce à cette foi, Dieu passa dans leur vie comme source de bonheur, de bénédiction, de nouvelle génération, de descendance impossible à compter, comme les étoiles dans le ciel, comme le sable au bord de la mer… Tout le chapitre 11 de l’épître aux Hébreux fait l’éloge de ceux et celles qui ont cru. Grande litanie qui traverse les siècles, « grâce à la foi », jusqu’à nos jours. Nous sommes les bienheureux descendants de ces grands croyants. Abraham, Moïse, Josué, Marie, Joseph, et Jésus lui-même. Lui aussi, il a cru et ce qu’il dit aux autres, il l’a vécu en premier lieu : « Ta foi t’a sauvé ! Qu’il t’advienne selon ta foi », et son vis-à-vis retrouve la santé ou trouve le grand pardon, étant réconcilié avec Dieu, grâce à sa foi.
L’évangile
Et l’évangile, choisi pour ce jour de fête, nous raconte un épisode fameux, quarante jours après la naissance de l’enfant. Joseph et Marie amenèrent l’enfant au temple pour la purification, selon ce qui est prescrit par la loi de Moïse. À la naissance il y a du sang qui a coulé et cela requiert, dit la Loi, une purification. Même Marie donc vient au temple et se soumet à ce rite. Ils offrent en sacrifice « un couple de tourterelles ou deux petites colombes », comme le veut la Loi. Si l’on était riche, on offrait un taureau entier. Mais les plus pauvres pouvaient aussi accomplir le rite : il leur suffisait de présenter dans une corbeille deux petites colombes. Indirectement on apprend le statut social de la famille. Ils acceptent ce qui convient à leur condition humble. À trois reprises on entend le narrateur nous dire : ils font tout « comme il était prescrit par la Loi de Moïse ». Les voilà donc soumis, sans discuter de cette loi.
Or voilà que surgit dans cette action une grande surprise : on n’apprend rien du prêtre qui accueille leur don et l’offre en sacrifice. Par contre deux figures surgissent : un certain Syméon et une dame fort âgée, veuve, et toute de prière et de jeûne, Hannah. Or le texte répète jusqu’à trois fois que c’est « poussé par l’Esprit » que Syméon est venu au Temple et prononce les paroles inspirées. Et tout ce qu’il dit est prophétie ! Hannah de même prophétise, elle qui ne quitte plus le temple. « Elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ».
L’enfant est né dans une crèche, une mangeoire, et des bergers sont venus pour éclairer l’événement : un sauveur nous est né, emmailloté et couché dans une mangeoire. Quarante jours plus tard, un sage inspiré révèle que cet enfant aura une destinée énorme : « il sera lumière pour les nations païennes et gloire de son peuple Israël » ! Plus encore, il sera un terrible « signe de contradiction » qui causera un départage entre ceux qui l’accueillent et ceux qui le refuseront… Dans les deux épisodes le narrateur précise que Marie recueillait tout cela dans son cœur. Le plus beau et le plus terrible, l’incroyable en bien mais aussi en épreuves. Quelle maturité est d’un coup exigée de la jeune maman. Plus loin elle entendra des paroles sortie de la bouche de son enfant à douze ans, « qu’elle ne comprendra pas », dit le texte, mais là aussi elle « garde ces mots dans son cœur », dans la grande mémoire qui permet à une maman de continuer à croire en son fils, même sans le comprendre tout à fait.
Notons au moins trois choses de cet épisode haut en couleurs :
Les parents ont agi en se soumettant d’un bout à l’autre à la Loi de Moïse. Cette attitude de conformité suppose foi et obéissance. Le texte le répète avec une insistance prononcée, jusqu’à trois fois. Arriverons-nous à une telle soumission sage, prudente, croyante pour le bien de tous, aujourd’hui ?
Puis, en contraste, la voix prophétique a retenti au cœur même de cette humble disposition des parents : leur vie fut croisée par l’ancien Syméon et par la voix de Hannah dans le Temple. Et ici également trois fois le narrateur précise : c’est poussé par l’Esprit que Syméon est venu, qu’il a parlé et a annoncé ce que sera la haute destinée de cet enfant, nommé « salut préparé à la face des peuples ! » Quand l’évangéliste Luc terminera son double livre de Luc-Actes, il reviendra explicitement à la dernière page sur les paroles de Syméon et rappellera combien cet Enfant a une destinée salvifique universelle, par-delà le refus de certains. La grande obéissance du départ a créé sans doute l’espace intérieur pour entendre clairement jusqu’au bout les paroles prophétique de Syméon et de Hannah ? Et si notre vie venait à être croisée par des paroles prophétiques, les entendrons-nous, avec foi et confiance pour nos lendemains incertains ?
Le troisième trait qui peut nous accompagner le reste de la journée est l’accueil que Marie fait de tout cela. Elle enregistre tout dans la mémoire profonde de son cœur. Sans commentaire, et il n’est même pas sûr que tout lui soit clair, dès ce jour-là ! Avancer dans la vie avec maturité, sans révolte, là où nous ne comprenons pas, et sans engouement même là où nous sommes émerveillés ou emballés. Portons au monde un mystère : un nouvel enfant qui est appelé à rayonner lumière et gloire, pour les lointains comme pour les plus proches.
Bien chers frères et sœurs, nous vivons tous des temps contrariés. Apprenons-nous quelque chose de Joseph et de Marie, d’Abraham et de Sara et de tous les grands croyants de l’histoire ? Les textes disent en réalité toujours deux choses : l’épreuve est assurée mais son au-delà n’est pas moins garanti par Dieu lui-même. Croyons. Espérons. Et allons de l’avant, encore et encore.
Une sainte mystique en Angleterre, contemporaine de notre Ruusbroec, Julian de Norwich, reçut du Seigneur une parole qu’elle avait au début toutes les peines à croire : All shall be well. Tout ira bien. Comment cela était-il possible : il y eût des épidémies successives dans sa ville avec bien des morts. Il y a avait des guerres brutales, au nom de la religion, une église catholique divisée avec plusieurs papes à Rome et à Avignon. Le Christ lui répétait All shall be well, avec la belle assurance : « Je puis le faire, je veux le faire, et je vais le faire ». Et elle y a cru, comme Abraham et Sara, comme Marie et Joseph, comme Jésus lui-même, malgré tant.
Retenons comme une mélodie dans le cœur : all shall be well, Tout ira bien, et avançons à travers les gestes humbles du quotidien, de la fraction du pain, du partage entre amis et pauvres, vers un lendemain nourri d’espérance.
Amen.
Fr. Benoît.
C’est une perspective de moine et pour les fidèles qui reflète l’image idéale de la Sainte Famille dans laquelle le culte et la foi sont les principes directeurs. En dehors des murs de la Mecque du culte, nous constatons un changement de priorités car la vie d’un travailleur avec une femme et des enfants apporte avec elle d’autres préoccupations, qui nécessitent également une attitude différente pour survivre. Les factures mensuelles, les frais de scolarité des enfants, les frais de médecin ne sont pas souvent des défis sérieux pour une famille aux revenus modestes et aux rêves qui ne sont pas si différents de ceux des citoyens des banlieues plus riches et de statut différent. La croyance en une vie avec ces limitations a un autre visage. Les classes moyennes sociales, des plus modestes aux plus élevées, fréquentent les bibliothèques et ont une image plus différenciée mais ont un faible pour les ambitions et trouvent et cherchent souvent un Dieu qui leur donne le statut qui les distingue du citoyen simple et non formé. Les rares personnes dans la zone de privilèges à sang bleu et à grande indépendance trouvent Dieu ou vivent comme un Dieu. Dans cet éventail d’autres circonstances, il s’agit de plus que de la simple foi et des marées de la prière et de l’exégèse. Si nous offrons une entrée commune inspirée de la réalité d’une communauté monastique, cela conduit à une adaptation artificielle dans laquelle l’individualité de la situation concrète est niée ou vécue comme inférieure par rapport à la vie spirituelle d’un petit cercle de personnes qui, pour une raison quelconque, ne choisissent pas de vivre avec une femme, avec un mari, des enfants de leur sang et les tâches et missions que cela implique. C’est pourquoi les prêtres, qui partagent la vie au travail et les petites et grandes préoccupations des gens, écrivent d’autres homélies avec un message accessible aux gens, qui n’apprécient que le simple message de la charité, et un Dieu qui apprécie leur langage et c’est d’ailleurs souvent le langage d’un enfant si l’on tient compte de la réalité sociale de l’Église dans les paroisses.