Homélie du 6 septembre 2015

23?me dimanche ordinaire B

Une homélie de fr. Bernard poupart

Communiquer librement, sans gêne, avec bonheur. Entendre d'autant mieux qu'on est entendu. Et donc bien «  s'entendre  » comme on dit justement.

Nous connaissons bien toutes les infirmités qui handicapent cette heureuse relation entre nous, nos surdités et nos aphasies. On peut entendre et rester muet, de stupeur, ou d'indifférence, parfois de rage intérieure qui pourra exploser, ou encore par une sorte de volonté malsaine de rester enfermé, un blocage. On peut aussi parler tout le temps, être un bavard incontinent, sans prêter attention à la parole des autres, ou tenir tellement à des positions ou des convictions que l'on devient incapable d'honorer celles des autres, et c'est encore un enfermement.

Entendre et parler, c'est jouir d'un bon équilibre psychologique pour soi-même et dans la vie commune. Quand on en est privé, il faut accepter l'aide de thérapeutes compétents. C'est l'histoire du sourd-bègue guéri par Jésus dans l'évangile de Marc (7, 31-37). Jésus y apparaît comme un habile thérapeute qui libère la communication. Comme la scène se passe en territoire non-juif, hors du contexte religieux habituel (Jésus est en Décapole, en territoire dit païen), ce que disent de Jésus les gens du lieu peut bien être compris de la sorte: « Ce qu'il fait est admirable: il fait entendre les sourds et parler les muets »: c'est un merveilleux guérisseur! Nous pouvons poursuivre sur ce plan-là: faisons comme ces gens, ayons recours à de bons psychologues pour soigner les handicaps de notre communication. C'est un premier message de ce récit à conserver avec sagesse.

Mais l'évangéliste Marc livre aussi d'autres messages. on amène à Jésus un sourd-muet en le priant de lui imposer la main. Cet infirme ne vient donc pas de lui-même, comme l'aveugle Bar Timée. Il est amené par d'autres qui adressent à Jésus leur prière pour lui. Quand nous souffrons de la surdité ou du mutisme d'un autre, si notre malaise devient de la compassion, nous conduirons ce frère à Jésus dans la prière, ce qui nous inclinera déjà à changer notre regard sur lui et à l'accompagner dans la foi.

Marc est le seul à raconter cette guérison, et dans son récit, la thérapie que Jésus met en oeuvre est étonnante. Alors que la plupart du temps il lui suffit d'une parole, ici il fourre ses doigts dans les oreilles du sourd et il étale sa propre salive sur la langue du muet. C'est un corps à corps. Et le corps de Jésus y est tellement engagé qu'il lève les yeux au ciel et dit dans un profond gémissement: « Effata! Ouvre-toi! »

Nous avons gardé dans les rites du baptême le geste de toucher les oreilles et la bouche en disant: 'Effata! Ouvre-toi! » Nous n'oserions pas faire ces gestes pour libérer l'écoute et la parole d'un autre, et pourtant- Quelque chose doit passer par nos corps, et cela aussi est à libérer. Il nous arrive d'engager nos corps avec de grands malades en leur touchant la main, en les caressant, en les prenant dans nos bras. Dans la vie courante, nous sommes plus réservés, mais nous connaissons la bonté de la main posée sur une épaule. Le corps de Jésus ne nous atteint plus de manière sensible, mais il lui faut nos corps, nos gestes, pour ouvrir. Croyons-nous assez que nous avons le pouvoir de nous ouvrir les uns les autres: Ouvre-toi! Libère-toi de ce qui te bouche les oreilles et de ce qui lie ta langue! Écoute ce que les autres veulent te dire et que tu n'entends pas. Libère ce que tu ne parviens pas à dire convenablement. Á quoi bon prôner le dialogue si c'est un dialogue de sourds?

L'évangile touche encore une zone plus profonde que celle de notre psychisme. Dans notre rapport les uns aux autres, il y va de notre relation à Dieu, et c'est celle-là que Jésus libère.. Tout au long de la Bible, Dieu parle et se plaint de n'être pas entendu. Et de leur côté, les hommes reprochent à Dieu de ne pas les entendre. Dieu n'est pourtant ni sourd ni muet. regardez Jésus, qui nous dit Dieu: il écoute tous les appels, il s'arrête en chemin quand le cri d'un aveugle lui parvient, il se met en route quand un père le prie pour son enfant. Mais il se heurte aussi à la fermeture et il n'y peut rien. Elle aura raison de lui. Le refus d'entendre est mortifère. Jésus colle au corps du sourd-muet parce que c'est toute notre relation à Dieu qu'il veut ouvrir, libérer. « Ouvre-toi! » c'est la parole qui nous a été intimée à notre baptême et qui doit libérer toute notre vie en traversant nos corps. Ouvre tes yeux, tes oreilles, tes mains, ouvre ta bouche. Ouvre les oreilles de ton coeur à l'évangile et qu'il déborde sur tes lèvres. Il a la puissance de te guérir de tes infirmités, de ta surdité et de ton mutisme.

Marc ne craint pas les paradoxes: Quand Jésus a rendu l'ouïe et la parole à l'infirme, il demande à tout le monde de ne rien dire. Un comble! Et Marc ajoute: «  Plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient.  » C'est un débordement d'évangile.

Il ne faut pas museler l'évangile, mais le libérer pour qu'il courre dans le monde. Devant les énormes défis de ce temps, il nous appartient d'écouter ensemble l'évangile pour trouver des messages qui libèrent. Nous n'y parviendrons pas si nous opposons des interprétations qui deviennent des murs qui nous enferment. Il faut nous entendre, c'est bien le cas de le dire, écouter les autres à l'exacte mesure de notre propre parole, briser les murs qui nous enferment dans nos systèmes. C'est par ces brèches que l'évangile peut passer. Quelle belle parole à nous dire les uns aux autres et à dire aujourd'hui à l'Europe: «  Ouvre-toi!  »