Homélie du 20 décembre 2015

Une homélie de fr. Dieudonné Dufrasne

A quelques jours de la célébration des mystères de Noël, la liturgie de ce dimanche nous invite à nous en approcher de très près en nous faisant passer sous un portique, tendu de part et d'autre par deux femmes de grande stature et de haute tenue: Marie et Elisabeth.

Deux femmes et uniquement deux femmes. Aucun homme en vue. Joseph est resté à Nazareth. Marie l'a-t-elle même averti de son départ "à toute vitesse", comme le précise l'évangéliste? Lui a-t-elle même laissé quelques plats au congélateur? Ce n'est pas certain.

Zacharie n'est pas à la maison. Il est au temple, en train d'officier comme Grand-Prêtre; il serait d'ailleurs incapable de se mêler à la conversation des deux femmes: il a été rendu muet par l'Ange à cause de son incrédulité.

Bref, et toute l'iconographie picturale, tant orientale qu'occidentale, est d'une saisissante unanimité: personne en dehors de ces deux femmes. L'une s'appelle Elisabeth, l'autre s'appelle Marie. L'une est fort âgée, l'autre est fort jeune. L'une est stérile, l'autre et vierge. Toutes deux démunies dès lors. Pourtant la stérile est enceinte, et la vierge l'est également.

Fragiles et démunies selon les humaines évidences. Et toutes deux enceintes selon une incroyable non-évidence. Leur rencontre qui va durer trois mois -précise l'évangéliste, va se passer dans le silence et dans la connivence chuchotée, qui est le propre des femmes enceintes, à l'abri de l'oreille des hommes. Nous-mêmes ne connaîtrons jamais ce qu'elles se sont dit, sinon ce qu'a chanté Marie:

"Le Seigneur a fait pour moi des merveilles, en se penchant sur son humble servante."

Elisabeth et Marie, deux servantes, mais au sens le plus noble du terme: au service d'un Maître aimé, et elles ont le même Maître de l'Alliance.

La vieille Elisabeth représente le Premier Testament, tout au long duquel Dieu s'est épuisé à renouveler son alliance avec son peuple élu, porteur des promesses mille fois répétées. Elisabeth a été choisie pour engendrer le précurseur des temps nouveaux, les derniers; jean-Baptiste, bien que fils du Grand-Prêtre Zacharie, n'officiera jamais au Temple de Jérusalem.

La jeune Marie représente le Nouveau Testament, que son fils inaugurera en tant que Grand-Prêtre éternel sur l'autel de la croix où il livrera son corps et son sang, en un sacrifice qui allait sceller l'Alliance Nouvelle et éternelle.

Les deux femmes sont vouées au même sacrifice: Elisabeth devra se désister de son fils Jean, prophète fougueux qui ne perpétuera pas la prestigieuse famille sacerdotale de son père. Il devra décroître pour que croisse le Messie des temps nouveaux.

Marie devra se désister de son fils Jésus, prédicateur des Béatitudes d'un royaume où le plus grand est celui qui sert. Sur le Golgotha, à l'invitation de son fils, elle devra accueillir comme son nouveau fils, Jean, le disciple bien aimé.

Ainsi comprenons-nous qu'il revenait à ces deux femmes de tendre le portique sous lequel ceux qui s'y engagent seront prêts à reconnaître, dans l'enfant nouveau-né couché sur la paille d'une crèche, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, dont les petits bras tendus accueillent de pauvres bougres comme courtisans naïfs, et dont la gloire céleste ne se découvre que dans ses grands yeux lumineux.

Dans le bas Moyen-Âge -qui ne fut pas aussi bas qu'on le dit, il était courant qu'on remplaçât la crèche et sa paille par une crois sur laquelle était déposé l'enfant Jésus; ou encore qu'on remplaçât la poupée-Jésus par un ostensoir contenant le pain eucharistique. Beth-leiem en hébreux: la maison du pain.

Sous  ces symboles, certes un peu rudes, les populations pauvres et éprouvées pressentaient bien qu'il y avait dans cette misérable étable la révélation d'un Dieu venu pour partager la souffrance humaine. Et on ne peut s'empêcher de nos jours à penser à cette foule d'exilés et de migrants qui parcourent nos rues opulentes où des crèches, symboles de notre religion, de l'incarnation, figurent au nombre des gadgets de notre insouciance. Evitons de faire de nos crèches, dans nos églises et foyers, de douillettes chambres de maternité trois étoiles.

Ceci dit, pour en finir, loin de moi l'idée de briser le charme de la "douce et sainte nuit": nous aussi avons nos misères et nos tribulations qu ont besoin de la consolation et de la paix de Noël. Et soyons joyeux sans arrière-pensée, à la suite du Magnificat de Marie. La fête de Noël tient bon malgré la sécularisation de notre société. mais nous, les croyants, ne sommes pas des gardiens du folklore. Dans la nuit de Noël, nous célébrons le mystère de la mort et de la résurrection du Sauveur, autour du pain fractionné.