Homélie du 11 avril 2020

Samedi Saint - Année A

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

En entendant l'évangile de la Résurrection, nous sommes arrivés au coeur de cette veillée. Il nous faut maintenant voir comment mettre en oeuvre, à notre tour, ce mystère de la vie nouvelle. Nous le ferons déjà en partageant le pain, image de notre vie donnée, et chaque fois nouvelle.

Mais il est bon de commencer par bien situer cet appel. La liturgie nous y aide en retraçant l'histoire de Dieu parmi les hommes. C'est toujours impressionnant d'entendre toute cette Histoire Sainte, depuis la Création, puis l'origine de notre foi, avec Abraham, ensuite, avec le passage de la Mer Rouge, la première image de notre libération de la mort, l'annonce du Royaume, avec David et les Prophètes. Et, à travers toutes ces péripéties, nous voyons comment Dieu donne la vie, la redonne inlassablement et, finalement, la donne en Jésus, par toute sa vie parmi nous, sa mort et sa Résurrection au matin de Pâques.

Mais faut-il s'arrêter là, en l'année 30 ?

Comme nous l'avons chanté durant tout le Carême : « Jésus Christ, ami des hommes, l'Église vit de ta mémoire, (mais) les yeux fixés sur l'avenir ». Nos yeux ne sont pas fixés sur l'année 30. Car Jésus « donne sens à notre histoire », — et pas seulement à l'Histoire de l'Antiquité.

D'ailleurs, si la fête de Pâques n'était que la commémoration d'une évènement du passé, la foi ne serait même pas nécessaire. En effet, la Résurrection est un fait historique, — je ne dis pas la façon dont les évangélistes la décrivent, mais le fait est que ces disciples, des gens assez ordinaires, pas très courageux, ont soudain reçu une force qui les a propulsés par le monde, pour annoncer et réaliser l'évangile. Le cours de l'histoire en a été changé. C'est un constat : il s'est passé quelque chose d'inexplicable. Notre foi ne consiste donc pas à admettre un fait historique, mais bien à y voir la présence renouvelée du Seigneur Jésus, le Vivant, sa présence et la force de son Esprit, — qui sont toujours à l'oeuvre aujourd'hui.

Quelle est alors la foi au Christ ressuscité que nous vivons aujourd'hui, dans ce contexte tout particulier ? Pour reprendre une remarque Daniel Marguerat, je dirais qu'il ne s'agit pas seulement de la foi au Christ ressuscité, mais surtout de notre foi active à celui qu'il appelle le 'Christ ressuscitant'. Ce n'est pas un jeu de mots, parce que, ce qui nous importe, ce qui nous sauve, ce n'est pas seulement le Christ ressuscité, dans le passé, au participe passé, mais le Christ ressuscitant, au participe présent, le Seigneur Jésus présent aujourd'hui, agissant aujourd'hui en nous, par son Esprit.

Tous les mystères chrétiens que nous célébrons sont en effet des aspects de la vie de Jésus auxquels nous sommes appelés à participer personnellement, depuis sa naissance qui est une invitation à accueillir la naissance de Dieu en nous ; nous pouvons aussi participer sa retraite au désert, à ses autres retraites, à ses rencontres qui apportent chaque fois une nouvelle vie, — et jusqu'à « la participation par notre patience à sa passion », comme saint Benoît nous le recommande. Nous sommes donc aussi appelés à communier à sa Résurrection. Déjà il y a 75 ans, dans sa prison, Dietrich Bonhoeffer écrivait : « À quoi me sert l'annonce du miracle le plus magnifique, si je ne peux le vivre et le vérifier par moi-même ? ». (Je le cite, parce qu'il y a exactement 75 ans, aux premiers jours d'avril 1945, que ce témoin du Christ a été assassiné.)

Oui, mes frères, mes soeurs, la Résurrection n'est pas seulement une vérité, un dogme à confesser, elle est un appel, un programme de vie, une tâche à réaliser. Concrètement, pour 'vivre' ce mystère et le 'vérifier', nous pouvons trouver chaque jour des façons de nous aider les uns les autres à nous 'remettre debout' en son nom, quand la fatigue ou le découragement nous abat. Avec l'aide de l'Esprit de Jésus, nous trouvons des façons de nous 'réveiller' quand l'habitude la routine, l'oubli ou le rêve nous habitent, plus que la vie. Pour nous inspirer sur ce chemin de vie, les évangiles peuvent aussi toujours nous aider aujourd'hui, quand ils racontent comment les disciples vivaient la résurrection : en 'reconnaissant' la présence du Seigneur en chacun de leurs frères et soeurs, dans une prière unanime, en partageant le pain dans la joie, en partageant tout ce qu'ils avaient, en pardonnant, en annonçant partout l'appel du Christ à la conversion et à vivre ainsi d'une vie nouvelle, non plus unidimensionnelle, mais ouverte. Ce sont là toutes des manifestations du 'Christ ressuscitant' par nous, avec nous.

Nous ne devons donc pas être intimidés par les images grandioses de l'iconographie catholique qui nous montrent un Christ qui jaillit du tombeau en triomphateur, tandis que les gardes à ses pieds sont atterrés, prostrés. Non ! nous sommes aussi appelés à vivre la Résurrection à notre échelle, petite, modeste, mais pleine de grâce, parce que le 'Christ ressuscitant' qui est avec nous se manifeste clairement en ces gestes simples de notre vie quotidienne renouvelée. Nous savons que ces initiatives, même petites, ne sont jamais dérisoires, mais bien plutôt décisives, comme les petits gestes par lesquels nous veillons sur notre 'maison commune'. C'est à ce niveau que l'essentiel se vit, mais toujours dans le contexte le plus vaste de toute notre planète. Et c'est bien ainsi que la Résurrection se 'vérifie', est attestée comme vraie.

Rendons grâce à présent au Seigneur Jésus « qui nous précède en Galilée », dans notre Galilée quotidienne. Prions-le de nous envoyer son Esprit chaque jour, pour y discerner les appels qui nous sont adressés, et pour y répondre humblement, mais avec une confiance infinie. Alors le partage du pain, le partage de toute notre vie, manifestera concrètement notre foi en la Résurrection.