Une homélie de fr. Benoît Standaert
Bienvenue à vous tous, chers frères et sœurs, ici à Clerlande, dans la chapelle ou encore chez vous à la maison, grâce à l'équipe qui transmet son et images par l'internet. Qu'elle en soit remerciée. Nous formons une seule communauté, qui commence à percevoir tout autour de nous l'arrivée du printemps. Le soleil aujourd'hui est de la partie, les oiseaux chantent dans le sous-bois, les jonquilles et crocus pointent leur tête colorée tout autour du monastère. Qui les voit, retrouve le sourire.
Mais Mars, le dieu de la guerre, s'est déchaîné au cours de cette semaine écoulée. À quelque deux heures d'avion de chez nous, c'est la guerre... Chaque bulletin d'information en parle. Un pays plus grand que la France est envahi de cinq ou six côtés à la fois...
La guerre c'est toujours un terrible échec, une folie, un commencement de grandes souffrances pour des millions de citoyens, et à la fin des comptes, on sait déjà, que personne n'en sortira gagnant... Personne...
Prier ? Oui, certes. Se réunir comme nous faisons, s'encourager, se soutenir, espérer contre toute espérance. Investir dans la Sagesse contre la folie, dans la solidarité plutôt que la haine et la peur de l'autre, avec humilité contre l'orgueil, en s'appuyant sur Dieu plutôt que sur la chair si éphémère des fils d'Adam. Romano Guardini, dans son traité sur la prière, rappelait que les portes de la liberté sont double : il y a l'action directe et il y a la prière.
Retenons que prier est une porte de liberté. Aucun régime totalitaire ne réussira à déraciner la plante de la prière dans le cœur du croyant. Que cela soit clair aussi. Ayons donc foi dans notre prière et notre quête de sagesse. Mettons-nous sous la Parole de Dieu et prions avec une immense confiance, au nom de tous ceux qui sont déjà plongés dans le deuil pour leurs morts, dans la souffrance pour les blessés, dans l'angoisse pour les lendemains. Kyrie eleison.
Homélie
Bien chers amis.
Ben Sira parle en images comme Jésus dans l'évangile.
Le four éprouve les vases du potier. Le fruit manifeste la qualité de l'arbre. Le tamis filtre et retient les déchets. Ta parole te révèle, te trahit, te vérifie en t'éprouvant. « La première victime de la guerre est la Vérité », disait un diplomate anglais. La guerre se joue à travers une rhétorique mensongère, des fake news qui partent dans tous les sens. Restons vrais et droits comme notre Dieu.
Le Psaume 91 parle du bonheur de louer et de rendre grâce, matin et soir, de jour et de nuit !
« Le juste grandira comme un palmier, comme un cèdre du Liban », même en « vieillissant il fructifie encore » ! Il connaît son Seigneur et son Dieu et déclare : « Il est droit, mon rocher ! » Comme on a besoin d'hommes et de femmes intègres et vrais, droits et purs dans tout contexte de guerre. Croyons que cet art de vivre même individuel du juste, affecte toute vie en société, et gagne une victoire sur les forces du mal.
Le court fragment de saint Paul conclut sur une idée si précieuse :
« Dans le Seigneur, la peine n'est pas perdue ». Jamais. « Rendons grâce, dit-il, à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. La mort a été engloutie. Ô mort, où est ta victoire ? »
La peine n'est pas perdue, dans le Seigneur !
Et dans l'évangile de ce jour Jésus prolonge une réflexion de sagesse, en parlant en images, en paraboles... Autant de leçons pour un art de vivre lucide et autocritique. Devenons chaque jour un peu plus sage, où que nous nous trouvions, quel que soit notre âge, notre fragilité, notre vulnérabilité.
« La paille et la poutre » ! Il y a ton œil et son œil. Tu vois certes l'œil de l'autre, avec acuité mais tu oublies et ne vois pas ton œil à toi. « Hypocrite », dit Jésus, - comédien, enlève ton masque, ose te regarder dans le miroir ton visage à nu, ton œil tel quel. Et surtout : « Enlève d'abord la poutre de ton œil. Alors tu verras clair... »
L'autre image porte sur l'arbre et ses fruits, appliquée au cœur et à la parole. De la bouche sort ce qui déborde du cœur. Examine-toi bien, jusqu'au plus profond de tes sentiments.
Œil, cœur, bouche et langage. Tout se tient. Chez Ben Sirach et chez Jésus, comme chez saint Benoît.
Qu'est-ce qui purifie l'œil et donc le cœur ? Les larmes. Le cœur pur voit Dieu. Le cœur brisé et broyé attire la présence divine qui pardonne. Car Dieu, notre Dieu, peut tout mais une chose lui est impossible : mépriser un cœur brisé et broyé. Jamais il ne fait cela, dit le psautier, à plusieurs reprises ! « Heureux les cœurs purs », « Heureux ceux qui pleurent ». « Ils seront consolés », « ils verront Dieu ».
Qu'est-ce que voir Dieu : voir avec les yeux magnanimes de Dieu, lui qui donne son soleil sur les bons et sur les méchants, sans faire de distinction et qui déverse sa pluie sur les pécheurs comme sur les justes, indifféremment. C'est recevoir dans l'œil la lumière divine. « Or l'œil avec lequel je vois Dieu est le même que celui par lequel il me voit », dit un sage, Maître Eckhart. Dans cet œil unique et commun, y a échange, réciprocité, amour dans le regard et dans le cœur, dans la bouche et dans le langage, fruit de ce qui habite l'homme, l'arbre bon.
Il y a un psaume qu'on peut toujours ruminer, quel que soit le contexte de paix ou de guerre, c'est le psaume que saint Benoît a placé en tête de son chapitre sur l'humilité. Le psalmiste part du cœur, passe par les yeux et finit par l'action et la démarche :
« Seigneur, je n'ai pas le cœur fier, ni le regard hautain, je n'ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent. Non, je tiens mon âme égale et silencieuse ». Et il passe à une image : « Mon âme en moi est comme un enfant, comme un enfant tout contre sa mère... ». Ce qu'il vit vaut finalement pour tous : « Israël, mets ton espoir dans le Seigneur, dès maintenant et à jamais ! » Dans le Seigneur, aucune peine n'est perdue, disait saint Paul.
Bien chers amis, méditons, adorons, avançons en hommes et femmes convertis, dès maintenant et pas seulement parce que le temps liturgique du Carême approche, oui, il commence ce mercredi prochain, le Jour des Cendres, et nous y convie. La conversion est de tout temps. Dieu ne suit aucun calendrier, il est Présence actuelle toujours offerte. C'est nous qui dans notre faiblesse avons besoin de tuteurs pour nous tenir droit, avec des horaires et des calendriers. Mais qui vit avec Dieu, vit Pâques chaque jour et Jeudi saint à chaque repas. Retenons la haute recommandation et le beau travail à faire prioritairement, chacun, que l'on soit grand ou petit : « Enlève d'abord la poutre dans ton œil », celle qui te sépare de la vue de Dieu sur notre monde. Et que la Paix règne, au fond de nous et jusqu'aux extrémités de notre monde éprouvé. Amen.
Quand on secoue le tamis, il reste les déchets ; de même, les petits côtés d'un homme apparaissent dans ses propos. Le four éprouve les vases du potier ; on juge l'homme en le faisant parler. C'est le fruit qui manifeste la qualité de l'arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l'éloge de quelqu'un avant qu'il ait parlé, c'est alors qu'on pourra le juger.
- Parole du Seigneur.
Si 27, 4-7
Qu'il est bon de rendre grâce au Seigneur, de chanter pour ton nom, Dieu Très-Haut, d'annoncer dès le matin ton amour, ta fidélité, au long des nuits !
Le juste grandira comme un palmier, il poussera comme un cèdre du Liban ; planté dans les parvis du Seigneur, il grandira dans la maison de notre Dieu.
Vieillissant, il fructifie encore, il garde sa sève et sa verdeur pour annoncer : « Le Seigneur est droit ! Pas de ruse en Dieu, mon rocher ! »
Ps 91 (92), 2-3, 13-14, 15-16
Frères, au dernier jour, quand cet être périssable aura revêtu ce qui est impérissable, quand cet être mortel aura revêtu l'immortalité, alors se réalisera la parole de l'Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? L'aiguillon de la mort, c'est le péché ; ce qui donne force au péché, c'est la Loi. Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ. Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l'?uvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n'est pas perdue.
- Parole du Seigneur.
1 Co 15, 54-58
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n'est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.
Qu'as-tu à regarder la paille dans l'?il de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton ?il à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : ?Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton ?il', alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d'abord la poutre de ton ?il ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l'?il de ton frère.
Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L'homme bon tire le bien du trésor de son c?ur qui est bon ; et l'homme mauvais tire le mal de son c?ur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c'est ce qui déborde du c?ur. »
- Acclamons la Parole de Dieu.
Lc 6, 39-45