Homélie du 24 septembre 2023

 Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? 

25ème dimanche du Temps Ordinaire - Année A

Une homélie de fr. Yves de patoul

Homélie :
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Frères et Sœurs.

Cette parabole peut nous sembler choquante : Dieu serait-il si injuste qu'il rémunère de la même manière ceux qui ont travaillé dur sous le poids du soleil toute la journée et ceux qui n'ont travaillé que quelques heures ? Nous voudrions crier à l'injustice sociale et barrer la route à un tel Dieu qui se range du côté des mauvais patrons. Pas trop vite ! Les paraboles contiennent un enseignement moral ou éthique qu'il nous faut découvrir sous peine de ne rien comprendre à l'Évangile qui requiert de plus une lecture croyante. Les paraboles utilisent des personnages qui représentent, symbolisent des personnes réelles qui sont mises en relation et souvent même en opposition. Nous-même nous sommes toujours visés dans l'un ou l'autre de ces personnages campés par l'auteur. Dieu lui-même apparaît souvent sous les traits d'un maître et les hommes sont à son service d'une manière qu'on pourrait qualifiée de tendue. Découvrons ces tensions et nous comprendrons mieux qui est ce Dieu qu'humainement nous qualifierions d'injuste, mais qui veut toujours

Dans le cas présent les ouvriers de la première heure sont d'abord et avant tout les juifs, ceux qui sont les familiers du Père, et qui, comme le fils aîné de la parabole bien connue de Luc, ont beaucoup de mérites - ou du moins le pensent-ils-ils -, puisqu'ils ont observé les commandements de la Loi de Moïse depuis les temps anciens ; ils se sont astreints à toute sorte de préceptes pesants qu'ils voudraient faire valoir à leur maître. Ils voudraient facturer des heures supplémentaires. Les ouvriers de la dernière heure, ce sont inversement - vous l'aurez tous deviné -, les païens qui reçoivent les grâces de Dieu, ou le salut, sans grand effort de leur part, presque gratuitement au sens par exemple où un commerçant vous offre un cadeau auquel vous ne vous attendiez vraiment pas. C'est normal que les premiers soient jaloux, qu'ils s'en prennent violemment au maître de la vigne pour une sentence de non-discrimination : ils ont droit, eux, pensent-ils, à plus que les derniers puisqu'ils ont plus travaillé, qu'ils ont accumulé plus de mérites.

La plus vive tension n'est pas celle qui oppose les travailleurs les uns aux autres, mais c'est celle qui oppose les anciens à leur Maître, que ce maître soit le Père ou le Fils contre lequel, nous dira une autre parabole, les vignerons s'en prendront jusqu'à le faire mourir pour lui arracher la Vigne. Soyons bref, soyons clair : ce maître est bien Dieu lui-même qui donne son amour (le salaire d'une pièce dans la parabole) à qui il veut. À tous, et en particulier aux plus malchanceux, mais à eux et pas plus ni moins qu'aux autres, Dieu accorde son amour. Une manière particulière de lire cette parabole consiste d'ailleurs à remarquer que le maître passe son temps à sortir. À toute heure de la journée, il sort pour embaucher. Et à chacun, il fait la promesse, il donne le même amour, pas plus à l'un qu'à l'autre. On peut y voir une recommandation pastorale : les pasteurs ou les missionnaires, comme le dit si volontiers le pape François, doivent sortir pour trouver des hommes et des femmes à qui donner l'amour de Dieu.

Dans ce verbe sortir, il y a donc toute une symbolique à partir de laquelle on peut relire toute cette parabole d'une manière très pertinente. Dieu n'a d'autre souci que de donner son amour à ceux qui veulent bien le recevoir gratuitement, mais jamais comme un dû. Il a donné son Fils unique pour le salut de tous les hommes qui voulaient bien le recevoir. Il ne cesser de donner son amour à qui le veut. A ce point de vue, nous les chrétiens, nous devrions être attentifs à ne pas nous croire des privilégiés, ceux qui devraient recevoir des grâces en abondance, le salut éternel à cause des mérites que nous aurions accumulés : les messes et tous les sacrements que l'Eglise nous a dit de recevoir. Les plus grandes grâces que nous pourrions revendiquer ne seraient-elles pas plutôt ces sorties que nous aurions faites, celles qui consistent tout simplement à sortir de nous-mêmes pour aller vers l'autre qui a besoin de notre aide. On le sent bien : ces sorties ressemblent fort à ce que saint Paul appelle la charité. Aimer c'est toujours sortir de soi, aller vers l'autre pour lui donner ce que nous avons de meilleur et recevoir de lui. Dieu n'arrête pas de sortir pour donner son amour.

Une autre piste qu'il faudrait encore creuser, c'est celle qui voit dans le maître celui qui a de la sympathie pour les chômeurs : les ouvriers de la cinquième heure n'ont rien à se reprocher, «  personne ne nous a embauchés  » disent-ils, et le maître les embauche sans sourciller. Ils sont la figure des laissés pour compte, des parias de la société pour lesquels le Christ que nous voulons suivre a de la compassion pour ne pas dire une certaine préférence (comme celle pour la brebis perdue ou égarée). Il les traite de la même manière que les premiers embauchés, il leur donne autant d'amour au risque de susciter la jalousie chez les ouvriers des premières heures. C'est une lecture radicalement différente de celle qu'on peut avoir en première lecture.

Et ceci nous amène à découvrir davantage la figure principale de notre parabole, Dieu lui-même, qui se cache sous les traits d'un patron en apparence injuste. Notre Dieu est un Dieu dont la miséricorde est immense. Il aime chacun de nous avec autant d'amour peu importe nos mérites ; il veut donner à chacun un même amour qui est symbolisé dans la parabole par l'unique pièce d'argent qu'il donnera à tous ceux qu'il embauchera pour travailler dans sa vigne. Plus il y aura de travailleurs, plus elle donnera de bons fruits ; tout le monde est le bienvenu : les petits et les grands, les pauvres et les riches, les juifs et les païens. Mais il y a quand même une condition pour recevoir le salaire d'une pièce d'argent. Il faut la recevoir comme un don et non pas comme un dû. Le maître de la vigne est d'une telle générosité qu'il peut susciter la jalousie des uns sur les autres : «  Vas-tu me regarder avec un œil mauvais parce que je suis bon ?  »

Si la vigne de la parabole est l'Église, celle-ci n'est pas une entreprise où l'on calcule les salaires en fonction des prestations et de la nature du travail accompli. Dans cette Église nous avons au contraire à recevoir des grâces qui nous sont communiquées par les sacrements, des sacrements derrière lesquels se cachent des personnes qui ont travaillé pour nous (des prêtres, des catéchistes, des parents qui ont transmis leur foi et leur amour du Christ). Ils l'ont fait gratuitement, par amour de Dieu. Soyons ou devenons ces fidèles chrétiens qui enseignent ou qui transmettent la foi à tous ceux qui cherchent du travail pour Dieu, tous ceux qui aspirent à entrer dans le royaume de Dieu où chacun à sa place : les pauvres plus que les riches.

 

Mes pensées ne sont pas vos pensées

Cherchez le Seigneur tant qu'il se laisse trouver ; invoquez-le tant qu'il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l'homme perfide, ses pensées ! Qu'il revienne vers le Seigneur qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, - oracle du Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

- Parole du Seigneur.

Is 55, 6-9

Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais. Il est grand, le Seigneur, hautement loué ; à sa grandeur, il n'est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ; la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses ?uvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu'il fait. Il est proche de tous ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité.

Ps 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18

Pour moi, vivre c'est le Christ

Frères, soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c'est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c'est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire.

Quant à vous, ayez un comportement digne de l'Évangile du Christ.

- Parole du Seigneur.

Ph 1, 20c-24.27a

Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Le royaume des Cieux est comparable au maître d'un domaine qui sortit dès le matin afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d'accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c'est-à-dire une pièce d'argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : ?Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.? Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit : ?Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?? Ils lui répondirent : ?Parce que personne ne nous a embauchés.? Il leur dit : ?Allez à ma vigne, vous aussi.?

Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ?Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.? Ceux qui avaient commencé à cinq heures s'avancèrent et reçurent chacun une pièce d'un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : ?Ceux-là, les derniers venus, n'ont fait qu'une heure, et tu les traites à l'égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !? Mais le maître répondit à l'un d'entre eux : ?Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N'as-tu pas été d'accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t'en. Je veux donner au dernier venu autant qu'à toi : n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?? C'est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Mt 20, 1-16