Homélie du 6 avril 2025

 Celui d'entre-vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à jeter une pierre 

5ème Dimanche de Carême (semaine I du Psautier) - Année C

Une homélie de fr. Pierre de Béthune

Homélie :
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À première vue, cet évangile illustre une image de Jésus compréhensif, très humain, tolérant, qui fait 'à tout péché miséricorde'. Une image qui nous convient bien. Et nous aimons voir comment Jésus renvoie à leur contradictions les moralisateurs hypocrites de tous les temps.

Mais il y a bien plus dans cet évangile, bien plus exigeant, bien plus exaltant aussi. J'y vois deux messages essentiels que je voudrais vous partager.

Il y a d'abord, ici mieux que partout ailleurs, un exemple de la façon dont Jésus renvoie à leur propre péché ceux qui essaient de le coincer. On dirait même qu'il prend un malin plaisir à 'mettre en boite' ses contradicteurs. «  Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre !  ». Sa réponse est devenue proverbiale. Pensons aussi à sa réponse à ceux qui lui demandaient s'il fallait ou non payer l'impôt au gouvernement romain : «  Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu  » ! Autre proverbe ! ou encore : «  Ôte d'abord la poutre qui est dans ton œil, alors tu verras clair pour enlever la paille dans l'œil de ton frère !  » Et on pourrait évoquer d'autres exemples.

Pour Jésus, c'est une préoccupation constante, et même primordiale. Il n'aime pas les doubles vies. Tout au long de l'évangile, il dénonce les comportements inconséquent, contradictoires, particulièrement frappants chez les personnes religieuses. ( ! ) Dès le discours inaugural, le Sermon sur la montagne, il dénonce le risque de vouloir paraître généreux en faisant de belles aumônes, mais aussi de paraitre pieux, ou même de jeûner, toujours pour la galerie. On se rappelle aussi ce qu'il dit au sujet des risques d'un pureté rituelle, qui peut masquer un cœur plein de convoitise et de violence. Il dénonce vigoureusement les 'sépulcres blanchis'. Car la vraie pureté est celle d'un cœur unifié. La duplicité est l'obstacle majeur. «  Quand vous parlez, dites : 'oui, oui' ou 'non, non', tout le reste vient du Malin !  » Tant que le cœur n'est pas unifié, on ne peut pas faire un pas sur le chemin de l'évangile. Il est important de rappeler cela au cours d'une célébration. Car «  il ne suffit pas de dire : 'Seigneur, Seigneur', il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux  ». Dans l'épitre que nous avons entendue, Saint Paul nous montre comment il a unifié sa vie : il était tout entier «  lancé vers l'avant  », tendu vers le Christ son unique Seigneur.

Voilà un premier message essentiel de cet évangile.

Il y a encore un autre, encore plus important.

Le texte finit très simplement, après le départ, l'un après l'autre, des accusateurs. On pourrait ne pas prêter attention aux dernières phrases. Jésus conclut : «  Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus !  » Mais remarquez : il ne dit pas d'abord : «  Désormais ne pèche plus, alors, moi non plus, je ne te condamnerai pas  ». Il dit d'emblée : «  Moi non plus je ne te condamne pas !  » Il commence donc par pardonner. Parce qu'il sait que se savoir pardonné est la meilleure façon de redonner à cette femme le goût de vivre sans pécher.

Mes frères, mes sœurs, ce retournement de perspective est vraiment cas essentiel ; il est au cœur de l'évangile. Il apparaissait encore très clairement dans l'évangile de dimanche dernier. Dans cette parabole du Fils prodigue, le Père miséricordieux n'a pas attendu que son fils ait fini de confesser ses péchés pour l'embrasser ! Parce que c'était son fils ! Au contraire, le fils qui revenait n'attendait que la stricte justice, et c'est le père qui a dû prendre l'initiative de la vraie rencontre. Parce qu'il était son père, il avait pardonné d'avance.

Pardonner d'avance. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce toujours possible ?

Non évidemment : il y a beaucoup de cas où cela ne serait pas judicieux. À commencer par dans l'éducation. Et dans la vie civile, c'est encore plus évident : s'il n'y a pas de menaces de sanctions, s'il n'y a pas de garde-fous, la vie des citoyens ne serait plus possible. Dans la société civile, il faut tenir compte du code civil et du code pénal, du mérite, du juste salaire...

Mais, pour certains cas, l'appel de l'évangile est cependant très clair, quand il s'agit de relations personnelles, comme dans la parabole. Le père du prodigue lui a tout pardonné, non pas 'par charité', malgré sa réprobation morale, mais tout simplement parce que, à ce moment-là, il était pleinement, et uniquement, père. Le fils, lui, n'était pas pleinement fils, et le fils ainé encore moins.

Ce que Jésus nous propose est donc de vivre, le plus possible, pleinement en fils, en pères, en mères, en frères et sœurs. Et puis, il nous invite aussi à élargir, autant que possible, cette façon de vivre nos relations au-delà des relations strictement familiales. Parce que, alors, avec ceux-là aussi, nous pouvons dépasser la stricte justice distributive et les exigences de rétribution.

Encore une fois, il y a beaucoup de cas où il faut appliquer la stricte justice. Mais, Jésus nous demande, «  que votre justice surpasse celle des scribes et des pharisiens  ». Oui, ne fût-ce qu'avec ceux qui sont proches, nous pouvons dépasser les exigences les plus strictes de la justice. Normalement nous voyons d'abord les qualités et les défauts, les limites et les compétences de ceux avec lesquels nous vivons, mais l'évangile nous invite à dépasser, autant que possible, cet aspect encore extérieur, pour voir ce qu'ils sont fondamentalement : des frères, des pères, des fils... Nous pouvons alors, sans naïveté, développer une bienveillance a priori et créer un climat accueillant.

La pratique religieuse doit pouvoir nous aider à vivre ainsi davantage dans la fraternité et la gratuité. En effet, la religion que Jésus est venu nous apporter est celle du «  Père des cieux qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes  ». Il n'attend pas nos aveux et nos pénitences pour faire grâce. Il nous pardonne d'avance. C'est pourquoi on peut dire que le Christ a converti la religion qui risque toujours d'être une forme de négoce, donnant-donnant. Il ne dit plus, comme le sage Tobie qui exhortait ses concitoyens : «  Revenez, pécheurs, vivez dans la justice : qui sait s'il ne vous rendra pas son amour et sa grâce !  » Il ne demande pas de commencer par mériter l'attention et la compassion de Dieu, en faisant un acte méritoire, une confession de ses péchés, pour qu'il s'occupe de nous et, - qui sait ? - nous fasse grâce. Mais nous savons que, précisément, la grâce est gratuite, et l'amour ne s'achète pas ! Il peut être donné, reçu, - mais jamais mérité...

Bien sûr, il est bon de quelquefois faire pénitence, de reconnaître et confesser nos péchés, surtout en Carême, mais cela ne doit pas nous faire oublier que Dieu nous aime comme nous sommes, inconditionnellement. C'est dans sa nature, puisqu'il est notre Père.

Je conclue. Ce sera bref !

Les deux enseignements de cet évangile convergent. Pour unifier notre vie, pour «  être oui, oui, ou non, non  », il faut recentrer notre vie sur ce que nous sommes le plus fondamentalement, de par notre nature d'enfants de Dieu. Nous pouvons alors, comme saint Paul, aller de l'avant avec une grande énergie de confiance.

 

Voici que je fais une chose nouvelle, je vais désaltérer mon peuple

Ainsi parle le Seigneur, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes, lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, consumés comme une mèche. Le Seigneur dit : « Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d'autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. Les bêtes sauvages me rendront gloire - les chacals et les autruches - parce que j'aurai fait couler de l'eau dans le désert, des fleuves dans les lieux arides, pour désaltérer mon peuple, celui que j'ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné redira ma louange. »

- Parole du Seigneur.

Is 43, 16-21

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! » Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie.

Il s'en va, il s'en va en pleurant, il jette la semence ; il s'en vient, il s'en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.

Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6

À cause du Christ, j'ai tout perdu, en devenant semblable à lui dans sa mort

Frères, tous les avantages que j'avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j'ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d'être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s'agit pour moi de connaître le Christ, d'éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l'espoir de parvenir à la résurrection d'entre les morts. Certes, je n'ai pas encore obtenu cela, je n'ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.

- Parole du Seigneur.

Ph 3, 8-14

Celui d'entre-vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à jeter une pierre

En ce temps-là, Jésus s'en alla au mont des Oliviers. Dès l'aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu'on avait surprise en situation d'adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser. Mais Jésus s'était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l'interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s'en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t'a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Jn 8, 1-11