Homélie du 18 mai 2025

Pendant ce temps de Pâques, nous entendons chaque dimanche une lecture des Actes de apôtres, une de l'Apocalypse et puis de l'évangile selon saint Jean. Ce sont des lectures continues, poursuivies de dimanche en dimanche, et qui ne sont donc pas réunies par un message unique, comme c'est le cas au temps ordinaire. Mais nous pouvons quand même les méditer à la suite, parce qu'elles nous font connaitre l'action du Seigneur ressuscité.

Dans les Actes, il est beaucoup question de voyages : Lystre, Iconium, Pamphylie, Pergé, beaucoup d'épreuves aussi, mais toujours «  pour entrer dans le Royaume de Dieu  », comme il est écrit. Quel est ce 'Royaume de Dieu' ? ». Il est souvent question du Royaume dans les évangiles. Jésus est «  venu pour prêcher la bonne nouvelle du Royaume  ». Il a raconté de nombreuses paraboles du Royaume et il a même annoncé que «  le Royaume des Cieux était tout proche  » désormais, et même «  parmi nous  » ! Il est bon d'entendre cette lecture du livre des Actes qui nous rappelle, en ce temps pascal, qu'il s'agit désormais, avec l'aide de l'Esprit de Jésus, de travailler pour accéder à ce Royaume où c'est Dieu qui règne.

La lecture le d'Apocalypse peut aussi nous y aider. Elle nous emmène dans un tout autre registre. Mais, dans son style particulier, ce texte nous parle aussi d'accéder à une «  terre nouvelle  », «  la demeure de Dieu parmi les hommes  », quand «  Dieu lui-même sera avec eux  ». À moins de céder à une lecture aliénante de ce texte, et de tout renvoyer à un futur imaginaire, lointain, un avenir d'après toutes les catastrophes, cette révélation qui décrit la «  terre nouvelle  », évoque une terre où nous pouvons demeurer maintenant, sans attendre la Parousie, mais ici, maintenant. Parce que, comme dit le texte, c'est une terre qui est «  la demeure de Dieu  ». Où est la demeure de Dieu ? Au ciel ? Non, le texte ajoute : «  parmi les hommes  ».

Alors comment, concrètement, accéder à ce Royaume de Dieu parmi nous ?

Tout simplement en vivant pleinement l'évangile. Écoutons-le encore aujourd'hui. Saint Jean nous rappelle en effet, dans son l'évangile, les paroles que Jésus a prononcées, le soir avant sa mort.

Mes frères, mes sœurs, ce passage d'un texte à l'autre peut vous sembler artificiel, accomodatice. La Bible est effectivement un recueil de textes très variés, étalés sur des dizaines de siècles et où on rencontre des genres littéraires les plus divers. Je ne vais pas commencer à les énumérer. Mais je veux seulement remarquer qu'à travers cette diversité extrême, il est possible et même nécessaire de trouver l'unité. Car ces textes, réunis désormais en un livre, Le Livre, ne sont pas des pièces éparses, disparates. Ils ne sont jamais que des fragments d'une seule histoire, précisément l'histoire de «  Dieu parmi les hommes  », pour reprendre l'expression de l'Apocalypse. Dieu qui s'adapte à tant de situations, qui supporte tant de refus et qui ne se fatigue pas d'encore et encore proposer de nouveaux projets, de nouvelles alliances. Sa dernière proposition est son propre Fils parmi nous.

Mais l'histoire nous dit que ça n'a pas non plus bien réussi. Jésus s'en rend bien compte : «  Je ne suis encore avec vous que pour peu de temps.  » Il va être trahi, renié, éliminé, mais il sait aussi que cela aboutira à la gloire de Dieu. Et de fait, après sa mort tout va pouvoir recommencer, comme on peut le lire au livre des Actes.

Lors de ce dernier entretien avec ses disciples, que l'évangéliste Jean a retenu, Jésus nous livre son testament. Il commence par laver les pieds de ses disciples. D'autres évangélistes racontent le dernier repas où il se donne lui-même en nourriture. Et puis il leur parle longuement.

Et surtout, il annonce qu'il leur donne un «  commandement nouveau  ». On pourrait imaginer qu'en cet échange suprême, il leur révèle enfin une démarche tout-à-fait nouvelle, inouïe. De tout temps, en tous les pays, les hommes ont cherché comment aller à Dieu, par toutes sortes de méthodes spirituelles, ascétiques, cabalistiques, philosophiques. On a tout essayé. Et voilà qu'il va enfin nous donner cette méthode extraordinaire ! - et il annonce : le commandement nouveau, c'est de «  vous aimer les uns les autres  » ! - Rien de plus banal ! Fallait-il une révélation spéciale pour comprendre cela ? Nous sommes faits pour aimer, et aimer les autres, pas seulement nous-mêmes. C'est évident. Il ne nous apprend rien !

Mais voyons de plus près ce que Jésus nous dit ici.

Il dit : aimez-vous «  les uns les autres !  » Aimer les autres, on voit bien ce qu'il y a à faire, et ce n'est pas toujours facile ! Mais «  les uns les autres  », la réciprocité, nous ne la maitrisons pas aussi facilement ! Que faire pour que les autres nous aiment comme nous les aimons ? Commencer par être nous-même aimables, direz-vous ; bien sûr. Mais il y a plus.

Pensons ici à ce fameux enseignement de Jésus retenu dans son Sermon sur la montagne : «  Quand tu vas présenter ton offrande à l'autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, et va d'abord te réconcilier...  » Il ne dit pas : «  si toi tu as quelque chose contre ton frère  », mais «  si ton frère a quelque chose contre toi  ». Si cela ne dépendait que de moi, je pourrais faire un effort, et cela irait, on pourrait se réconcilier. Mais comment faire pour que mon frère, ma sœur changent d'attitude et demandent à se réconcilier avec moi ? Je n'ai pas d'emprise directe sur leur volonté...

Ce qu'il faut donc, c'est de patiemment recréer un climat de confiance, de respect, de réconciliation, bref un climat où l'on aime aimer. Un climat où règne le Dieu de Jésus-Christ. Le 'Royaume de Dieu' ou le 'Dieu parmi les hommes', c'est ce que Jésus nous a révélé. Par toute sa vie et sa mort, acceptée en témoignage pour ce qu'il nous a transmis, il nous a montré comment vivre à notre tour ce témoignage. De fait, en nous donnant ce commandement nouveau de nous aimer les uns les autres, Jésus a ajouté «  comme je vous ai aimé  ». Il nous demande de vivre dans cet amour réciproque, comme il l'a vécu avec ses disciples, et, plus fondamentalement comme il le vit avec son Père, dans l'Esprit. Là est la source de la réciprocité.

Mes sœurs, mes frères, nous sommes ici au cœur de l'évangile, - et nous devons constater que nous en sommes souvent loin ! Créer un climat où l'on aime aimer n'est pas un objectif facile ! Vraiment utopique au niveau international, et même très difficile dans une petite communauté. Mais c'est bien à cela que nous sommes appelés, là où nous sommes. C'est ce que Jésus nous demande dans l'évangile d'aujourd'hui : «  montrer à tous les hommes que vous êtes ses amis  ». Et nous pouvons être sûrs que cette petite cellule familiale unie, cette petite communauté amicale, ou même une assemblée chrétienne où l'on aime prier et vivre ensemble, oui, nous pouvons être sûrs que nous pouvons rayonner cet amour autour de nous et donner le goût de vivre ainsi.

C'est à cela que le Seigneur ressuscité nous envoie.