Homélie du 20 juillet 2025

 Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part 

16ème dimanche du Temps Ordinaire (semaine IV du Psautier) - Année C

Une homélie de fr. Invité

Homélie :
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Après l'Évangile du Bon Samaritain, figure légendaire de celui qui vole au secours de son frère blessé en le soignant plus qu'il ne le faut, voici aujourd'hui une autre figure légendaire. Elle est double, Marthe et Marie ; et elle est aussi plus catho que celle du Bon Samaritain qui est une figure universelle puisque les barrières sociales et religieuses sont volatilisées par Jésus lui-même dans cette allégorie. En quoi ces deux femmes proches de Jésus sont-elles légendaires ? Elles incarnent deux manières d'être que l'histoire de la spiritualité a persisté à opposer pour satisfaire à toute sorte de préjugés : la vie contemplative serait meilleure que la vie apostolique, la prière serait plus importante que l'action. On peut y ajouter d'autres considérations qui valent ce qu'elles valent : le danger de l'action sans la prière, ou inversement l'inanité de la prière seule. Nous les moines, nous souffrons un peu de cette dernière impression : nous sommes des gens inutiles à la société.

Les révolutionnaires français en leur temps avaient décrété l'interdiction ordres monastiques. Notons également que Luther et tous les protestants à de rares exceptions près, comme Taizé, ignorent la vie religieuse en tant qu'institution. Pour le dire en quelques mots, selon eux le salut ne se mérite pas par des bonnes œuvres (que ce soit la prière ou l'apostolat), chacun est face à Dieu avec sa foi éclairée par la parole de Dieu. Pour les protestants, tous les chrétiens sont égaux. Il ne peut pas y avoir des catégories, les uns étant plus méritants que d'autres. C'est la fameuse doctrine du sacerdoce universel interprétée de façon restrictive : tous les baptisés sont prêtres, ils sont tous appelés à servir Dieu dans leur vie quotidienne ; ils n'ont pas besoin d'intermédiaires (comme les prêtres catholiques qui exercent un ministère de médiation entre Dieu et les hommes), et par extension en quelque sorte les religieux.

Compte tenu de toutes ces considérations, quel sens pouvons-nous attribuer à cette rencontre exemplaire (ou exemplative) de Jésus avec Marthe et sa sœur Marie ? Comment sortir de toutes les ornières qui sont autant de clichés sur la vie spirituelle et apostolique ?

Décrivons d'abord la scène composée par l'évangéliste Luc. Jésus est entré dans un village avec ses disciples. Soudainement il rend visite à Marthe qui l'a invité à prendre un repas, belle initiative qui faut applaudir. Nous apprenons encore que celle-ci a une sœur qui s'appelle Marie. Peu après la voici assise aux pieds de Jésus en train de l'écouter : elle reçoit un enseignement du Maître (littéralement, «  elle écoutait sa parole »). C'est alors qu'intervient la maîtresse de maison Marthe pour protester auprès de Jésus : «  cela ne te fait rien ? que ma sœur me laisse seule à faire le ménage ?  ». Ça grince un peu dans la maison. D'abord parce qu'elle fait un reproche à Jésus qui n'est pas n'importe qui ; c'est irrespectueux, elle est, dirions-nous, insolente ; ensuite parce qu'elle se compare avec sa sœur qui, selon elle, devrait l'aider («  dis-lui donc de m'aider  ») quitte à laisser seul l'illustre hôte. Elle accumule les maladresses ! C'est alors que Jésus prend position : «  tu t'agites trop, tu es trop affairée  », car en réalité, poursuit-il, «  une seule chose est nécessaire, importante  ». Jésus ne dit pas quelle est cette chose, mais il dit que sa sœur Marie l'a bien comprise. Pour le lecteur, il n'y a pas de doute, c'est l'écoute de la parole de Dieu qui est la chose essentielle peu importe ce que nous faisons, qui nous sommes, ai-je envie d'ajouter pour enlever toute ambiguïté, toute mauvaise interprétation.

Le non-dit est important. Implicitement Jésus dit à Marthe : tu aurais dû au moins tendre l'oreille pour écouter la parole de Dieu ou t'assoir un instant, et tu ne devais pas non plus critiquer ta sœur comme si tout le monde devait faire comme toi. Non, Marie ta sœur avait raison, tu ne pouvais pas lui reprocher de s'être assise à mes pieds. Il y a un temps pour tout : un temps pour prier, écouter, un autre pour travailler. Ton affolement a quelque chose de déplacé, de ridicule au regard de l'importance de ma personne qui suis le Verbe de Dieu.

Dans le blog que j'ai suivi pour préparer cette homélie, j'ai été fort frappé

par ces fragments d'homélie du Patriarche Athénagoras (1948-1972) alors qu'il avait 83 ans et que je reproduis pour vous :

 « Je n'ai plus peur de rien. J'ai renoncé au comparatif. La guerre la plus dure, c'est la guerre contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J'ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible. Mais je suis désarmé. Je n'ai plus peur de rien, car l'amour chasse la peur. Je suis désarmé de la volonté d'avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres. Je ne suis plus sur mes gardes, jalousement crispé sur mes richesses. J'accueille et je partage. Je ne tiens pas particulièrement à mes idées, à mes projets. Si l'on m'en présente de meilleurs, ou plutôt non, pas meilleurs mais bons, j'accepte sans regret. J'ai renoncé au comparatif. Ce qui est bon, vrai, réel, est toujours pour moi le meilleur. C'est pourquoi je n'ai plus peur. Quand on n'a plus rien, on n'a plus peur.

Si l'on se désarme, si l'on se dépossède, si l'on s'ouvre au Dieu-Homme qui fait toutes choses nouvelles, alors, Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible.  »

Le patriarche Athénagoras nous invite à renoncer à la comparaison ; c'est certainement une des clés de la paix intérieure : ne pas passer son temps à envier ceux qui ont « plus  », ni à mépriser ceux qui ont «  moins. Ne pas même chercher à se mesurer sur une échelle de sainteté ou d'efficacité. Chacun de nous est ce qu'il est par la grâce de Dieu. Cessons d'envier le sort des autres, ou de critiquer les autres en les mesurant à nous-même comme si nous étions un idéal que tous les autres devraient viser.

La parabole du pharisien et du publicain nous enseigne la même chose par des inversions très parlantes : «  Moi je ne suis pas comme cet homme qui ...  ». Dans le même blog, je lisais encore ceci : «  Se comparer en mieux ou en moins bien, c'est quitter la louange pour celui du mépris ou de l'envie, se comparer en plus ou en moins c'est quitter le terrain de la gratuité pour celui du calcul et du mérite.  » Restons comme le publicain qui disait dans sa prière : «  Seigneur, je ne suis qu'un pauvre pécheur, prends pitié de moi  ».

Dans tout ceci vous avez reconnu ce que Jésus n'aimait pas chez Marthe, particulièrement ce défaut qui est assez commun de se comparer aux autres pour les rabaisser comme si nous étions meilleurs qu'eux ou que nous étions la norme à laquelle il faut s'aligner. Il reste à nous pencher sur ce que Jésus voudrait qu'on fisse. Quel est donc le mérite de Marie ? C'est à la fois très simple et difficile. Oublions d'abord nos différences personnelles : les uns sont plus portés vers la méditation, la prière ou encore la rêverie, ils parlent volontiers ; les autres sont plus enclins à faire des choses, à travailler avec un certain acharnement. Ils parlent peu. Jésus ne s'adresse pas à une catégorie de personnes, il s'adresse à chacun de nous. Sans dévaloriser le service et le travail de routine qui est très nécessaire (personne n'en doute),il nous dit à nous aussi qu'une seule chose est utile, nécessaire, productif : écouter la parole de Dieu.

Concrètement, il ne s'agira pas tant pour nous de faire une prière avant de commencer à préparer chaque repas ou tout autre occupation quotidienne, mais d'accueillir Dieu un moment dans la journée, lui offrir l'hospitalité comme Abraham reçut les trois anges mystérieux et de se mettre à son écoute car, comme le disait saint Paul : «  le Christ est au milieu de vous  ». Jésus veut dire à Marthe : « Si tu veux faire ma joie, commence par m'écouter. Si tu m'invites, laisse-moi d'abord te nourrir du pain de ma parole  ».

 

Mon seigneur, ne passe pas sans t'arrêter près de ton serviteur

En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l'entrée de la tente. C'était l'heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu'il les vit, il courut à leur rencontre depuis l'entrée de la tente et se prosterna jusqu'à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t'arrêter près de ton serviteur. Permettez que l'on vous apporte un peu d'eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d'aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l'as dit. » Abraham se hâta d'aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l'on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d'eux, sous l'arbre, pendant qu'ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l'intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

- Parole du Seigneur.

Gn 18, 1-10a

Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté

Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l'accomplis pour son corps qui est l'Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m'a confiée, c'est de mener à bien pour vous l'annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu'il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l'espérance de la gloire !

Ce Christ, nous l'annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l'amener à sa perfection dans le Christ.

- Parole du Seigneur.

Col 1, 24-28

Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une s?ur appelée Marie qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma s?ur m'ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m'aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

- Acclamons la Parole de Dieu.

Lc 10, 38-42