Une homélie de fr. Yves de patoul
Jadis cette fête, qui portait d'autres noms comme la Fête-Dieu, était célébrée dans les rues et au milieu des villages ; on y célébrait le Corps mystique du Christ par des processions et des adorations en des lieux aménagés : un autel, où l'on déposait un grand ostensoire qui contenait l'hostie consacrée. On vénérait alors la présence du Corps du Christ, d'où l'autre nom de cette fête : celle du Saint-Sacrement. La religieuse belge augustine sainte Julienne du Mont-Cornillon (au XIIIe S ;) est à l'origine de cette fête. Le Christ lui-même lui est apparu dans une vision ; il l'a obligée un peu malgré elle à faire de l'adoration du Corps du Christ une fête. Pendant vingt ans, elle répète au Christ, insistant, qu'il doit chercher quelqu'un de plus brillant et plus capable qu'elle. Mais "Plus on la faisait grande, plus elle cherchait à se faire petite « disait sa biographe ». Mais Jésus ne la lâche pas : c'est elle et personne d'autre qu'il veut charger de cette entreprise. En désespoir de cause, Julienne s'adresse à un chanoine l'archidiacre Jacques Pantaléon de Liège qui devint le pape Urbain IV. Après de nombreux soubresauts - certains la détestaient-, celui-ci instaura la fête Corpus Christi en 1264, 12 ans après sa mort à Namur. On l'enterra à l'abbaye de Villers-la Ville. (Anne Bernet, Aleteia), Une grosse opposition vint de ceux qui ne voulaient pas que cette fête devienne un jour de jeûne supplémentaire pour la population.
Je parle au passé mais cette procession existe toujours dans certains villes ou villages où l'on tolère encore l'affirmation de la présence visible des chrétiens. J'en ai un souvenir personnel. C'était dans une rue de la banlieue de Liège : je devais avoir cinq ou six ans ; ayant des cheveux blonds crolés, j'avais été choisi par Monsieur le curé pour représenter le petit Jésus. Un autre souvenir, c'était dans un village reculé des Ardennes (au-dessus de Vresse sur Semois). Là je vois encore un autel dressé au bord d'un chemin qui montait vers les champs au temps où c'étaient les chevaux qui tiraient les charrettes de foin.
En ce temps-là, on aimait se retrouver nombreux au cœur du village pour célébrer tous ensemble sa foi par des chants, des processions et des signes visibles comme le grand ostensoir et des habits liturgiques chatoyants. Ce n'était pas du folklore comme la procession du Saint-Sang à Bruges par exemple. Aujourd'hui, ces grands moments de convivialité sont plus rares. On peut citer les visites du pape, les JMJ qui fonctionnaient si bien du temps de Jean-Paul II, ou encore les rassemblements du Renouveau charismatique qui remplissaient la basilique de Kœkelberg il y a quelques jours. Mais dans le fond, chaque eucharistie dominicale est une fête qui rassemble des chrétiens désireux de proclamer leur foi, heureux de se retrouver autour de la personne du Christ. C'est là où je voulais en venir tout en regrettant que ces processions n'aient plus lieu dans nos régions.
Frères et sœurs, la messe ou l'eucharistie comme on dit plus volontiers aujourd'hui.
a de multiples facettes, de nombreuses définitions ; elle remplit plusieurs fonctions. Il est difficile de se prétendre chrétien sans fréquenter un peu régulièrement le sacrement de l'eucharistie, non pas parce qu'on serait privé seulement de la communion à laquelle on est souvent tenté de la réduire ; mais parce qu'on serait privé de tous les bénéfices qu'on peut en tirer et qui sont multiples. En elle, je confesse ma foi, je la nourris par des enseignements, je loue le Seigneur en qui je reconnais mon Créateur qui m'a façonné et mon sauveur qui m'a libéré de mon péché, je le loue par des chants et des prières qui ont une certaine qualité (car la beauté est partie intégrante de la rédemption). Je communie au même pain eucharistique que tous les autres qui la reçoivent : une hostie ou un morceau de pain dans lequel je reconnais la présence de Dieu qui est pour moi une grâce, une nourriture. La communion nous rassemble tous à l'image du pain et du vin symboles d'unité. L'Eucharistie nous donne encore l'occasion de nous reconnaître tels que nous sommes devant Dieu : des pécheurs désireux de nous corriger, de nous convertir à la Parole de Dieu.
Certains fidèles, en état de péché mortel selon le catéchisme de l'Église sont privés de la communion ou d'autres encore se privent de la communion parce qu'ils ne se sentent pas en état de grâce, disait-on jadis. Observons à ce sujet qu'on est passé d'un extrême à l'autre. Aujourd'hui tout le monde communie sans éprouver le moindre remords par rapport à des comportements indéniablement répréhensibles : prononcer une parole assassine, violenter son semblable sans jamais s'excuser, recourir à des pratiques malhonnêtes ou honteuses. Avouons que l'impunité ou l'hypocrisie sont des réalités de nature à décourager des âmes faibles qui pourraient être tentées de déserter ou de s'enfuir ailleurs.
Mais ceci n'empêche pas notre Seigneur de se donner à tous : « Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ou le diviser ; il est reçu tout entier. Qu'un seul ou mille communient, il se donne à l'un comme aux autres, il nourrit sans disparaître ».
Une autre facette, plus discrète, plus profonde mais moins connue de l'eucharistie est la bénédiction, celle que nous recevons et celle que nous faisons. Nous commençons la messe par le signe de croix qui est une bénédiction. Par elle nous reconnaissons que Dieu est à la source de tout bien, par elle nous implorons la bénédiction de Dieu sur nous. Dans le mot bénédiction on reconnaît facilement deux mots ; dire et bien. Nous le faisons encore par la louange qui est essentielle à l'être chrétien. Les moines rendent grâce à Dieu plusieurs fois par jour. C'est leur fonction principale dans l'Église. Ils célèbrent l'eucharistie quotidiennement. Eucharistie signifie reconnaissance du bien, des bienfaits de Dieu. Elle est un sacrifice de louange : on y célèbre le mémorial de la mort et de la passion de notre Seigneur Jésus Christ comme il nous l'a dit de le faire.
La partie principale de la messe, la consécration qui est au cœur de la prière eucharistique, commence par la bénédiction sur le pain et sur le vin, conformément à la tradition ancienne que Jésus a reprise. Le pain et le vin sont des aliments qui symbolisent toute notre humanité ; ils sont présentés pour être bénits afin de devenir le corps et le sang de notre Seigneur Jésus. C'est un moment d'une grande intensité : pourquoi ? Parce que nous faisons mémoire d'un moment unique de l'histoire de l'humanité ; le rachat dans le sang du Christ qui est mort et ressuscité de tous les hommes, quelles que soient leur état, leur péché.
La dernière Cène dont nous faisons mémoire à chaque eucharistie a scellé une nouvelle alliance avec tous les hommes ; tout le monde est admis à partager la même table. Il y a un lien étroit entre la table où l'on mange et la mémoire d'un événement fondateur et inoubliable. Pensons à la madeleine de Proust, elle qui nous permet de ne jamais oublier un événement lointain et heureux. Ici c'est la Pâque du Christ qui fonde et structure notre foi, qui la nourrit, c'et elle aussi qui nous rassemble régulièrement et qui nous invite à retourner chez nous d'un autre pied.
Continuons de nous en souvenir au cours de cette célébration.
En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu'il avait pris.
- Parole du Seigneur.
Gn 14, 18-20
Oracle du Seigneur à mon seigneur : « Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis le marchepied de ton trône. »
De Sion, le Seigneur te présente le sceptre de ta force : « Domine jusqu'au c?ur de l'ennemi. »
Le jour où paraît ta puissance, tu es prince, éblouissant de sainteté : « Comme la rosée qui naît de l'aurore, je t'ai engendré. »
Le Seigneur l'a juré dans un serment irrévocable : « Tu es prêtre à jamais selon l'ordre du roi Melkisédek. »
Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4
Frères, moi, Paul, j'ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l'ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.
- Parole du Seigneur.
1 Co 11, 23-26