La méditation et la grande conscience

Méditer se fait consciemment. Distraction et divertissement - dans le sens pascalien - sont l'exacte contraire de l'acte qui médite. On y prend conscience de son corps, de son souffle, de sa subjectivité, de sa présence « ici et maintenant ». C'est un de mots clefs de la tradition méditative du bouddhisme japonais : Ima koko ! (« Maintenant Ici ! »). La conscience se consume dans cet acte de présence immédiat.

Il est bon, en méditant, de partir à la découverte des différents niveaux de conscience dont nous sommes capables. Il y a des consciences étroites, mesquines, banales, idiotes dont nous pouvons devenir le jouet. L'image des « singes sautant dans notre baobab » intérieur en dit long et rappelle que même les grands maîtres zen qui nous ont transmis cette image, ne sont pas bien différents de nous sur ce point. On médite et voilà les singes qui crient et qui sautent !

Un maître au Japon, Harada Roshi, de Sogen-ji à Okayama, nous enseignait les étapes de conscience qu'il parcourait en s'asseyant pour méditer. « Je commence par réaliser ma présence à tout mon environnement par la voie de tous mes sens, ouverts à l'extériorité. Puis je me retire de cela. Je prends alors conscience de ma respiration et de ma subjectivité, ici, maintenant. Puis je me retire de cela. Alors j'entre dans la grande conscience. Appelez-la, si vous voulez, la conscience divine. Et alors il importe de rester dans cette conscience-là vingt-quatre heures sur vingt-quatre ».

Cet enseignement était donné en trois étapes, avec une traductrice qui reprenait la parole à chaque étape. Or au fur et à mesure que l'exposé avançait, le maître nous permettait comme de voir irrésistiblement avec nos propres yeux l'évolution, dans la forme adoptée de présence. Au dernier stade il rayonnait de joie, de transparence, de force libre.

Retenons de cet enseignement qu'il y a à chaque méditation un chemin à parcourir au niveau de la conscience. Graf von Dürckheim (1896-1988), autre maître fameux de la médiation, avait frappé cette courte formule, un mantra en soi, en quatre étapes, qu'on retrouve d'ailleurs chez le grand spirituel Nicolas de Flüe (+1487) : « Weg von mir, Hin zu Dir, Ganz in Dir, Neu aus Dir » (« Me quittant, je Te rejoins, pour être tout en Toi, et poursuivre renouvelé, hors de Toi »). Il est rare qu'on atteigne à chaque méditation le quatrième stade. Il est fréquent qu'on ait toute la peine du monde à passer par le première porte (Weg von mir), tant on reste accroché à son petit moi. Mais l'important est de subir le mouvement, dans la belle immobilité de la position assise.

Augustin rapporte dans ses Confessions, au livre neuvième, la méditation qu'il a faite avec sa mère Monique, à Ostie, peu avant qu'elle ne meure. Tout commence par une vue panoramique splendide. Puis vient le moment de recueillement en commun avec la joie de partager ensemble la lumière intérieure, et enfin, ensemble, ils accèdent par élévation à ce qu'il y a de plus sublime. On retrouve la démarche impliquée dans les deux bouts de phrases si célèbres d'Augustin, notées au troisième livre de ses Confessions : Deus interior intimo meo, superior summo meo. « Dieu plus intérieur que ma propre intimité, supérieur à ce que j'ai de plus sublime ». Le mouvement va d'abord de l'extérieur vers l'intérieur, puis monte par dépassement vers ce qu'il y a de plus sublime. On est moins loin qu'on le penserait à première vue du chemin décrit par Harada Roshi qui lui-même reproduisait le chemin bien connu de Dogên (1200-1243). Celui-ci décrivait toute la démarche spirituelle en allant d'abord au-delà de la perception du corps Get rid of the body (« Débarrasse-toi du corps »), puis au-delà de celle de l'esprit : Get rid of the mind, (« Débarrasse-toi de l'esprit »).


fr. Benoît Standaert osb.
(c) Clerlande 2022.


Qui veut poursuivre la réflexion sur la méditation, peut consulter l'interview de Maciej Bielawski en Italien, janvier 2022 : Une série de questions essentielles.